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Climato-tartuffes et nouvelle alternative socialiste

mercredi 23 novembre 2022, par Denis COLLIN

Ainsi la COP27 s’est réunie, a pris des engagements pour limiter le réchauffement climatique à 1,5° et chacun est reparti dans son avion. Il est facile d’ironiser sur toutes ces belles gens qui produisent en masse du CO2 pour tenir des réunions inutiles dans des destinations touristiques… Mais il est nécessaire d’aller au bout des questions pour comprendre ce qui est en cause et démasquer les tartuffes du climat. De cette nécessaire critique découlera l’évidence que la défense d’un monde humain vivable est incompatible avec le mode de production capitaliste.

Chaud devant

Le réchauffement climatique est la grande peur de notre siècle. Et comme nous serions responsables, tous autant que nous sommes, de ce fléau, nous devrions nous repentir, faire pénitence sans plus tarder. Le GIEC a remplacé la Bible dans les prédictions apocalyptiques. Si la réalité d’un réchauffement global de la planète n’est guère contestable (de l’avancement de la date des vendanges sous nos latitudes à la fonte des banquises, les signes ne manquent pas), déduire de ces faits que l’activité humaine en est la cause, c’est tout de même aller un peu vite en besogne. Sans doute, les émissions abondantes de gaz à effet de serre sont-elles à mettre en cause. Mais on pourra faire remarquer que le réchauffement a commencé il y a plus de 20 000 ans, sans que l’on puisse sérieusement accuser nos ancêtres d’en être la cause. À l’intérieur de cette période, le climat connaît des oscillations : après une pointe vers 1000-1200 – à l’époque où le Groenland, comme son nom l’indique, était vert, on a connu un mini-âge glaciaire, les records de froid étant au début du XVIIIe siècle. Depuis, on connaît un nouveau réchauffement avec aussi des oscillations – dans les années 1980, on s’inquiétait d’une nouvelle glaciation… Les oscillations de l’axe de la Terre et les cycles bien connus d’activité solaire – Jevons rendait ces cycles responsables des crises économiques cycliques – jouent sans doute un rôle très important dans le réchauffement actuel. En tout, les explications monocausales dans ces matières sont souvent radicalement fausses. Il faut encore noter que le réchauffement global peut produire des effets très contrastés. Avant que l’on puisse cultiver des plantes tropicales en Europe du Nord, il se pourrait très bien que nous soyons confrontés, sous nos latitudes, à des baisses importantes de températures en raison des changements des courants marins, notamment le Gulf Stream qui pourrait cesser d’adoucir le climat européen et donnerait à Bordeaux le climat actuel de Québec… Les scénarios envisageables sont très nombreux et les prédictions de nos Philipulus (voir Tintin et l’étoile mystérieuse) n’ont pas d’autre objectif que répandre la peur – comme le faisait remarquer Spinoza, « on gouverne les hommes par la crainte et par la superstition »…

Mais admettons que ces craintes soient fondées et que suivant les thèses de Jean-Pierre Dupuy, nous devions prendre le pire des scénarios comme le plus probable (voir Pour un catastrophisme éclairé, Seuil, ), il faudrait derechef entamer une politique de réduction drastique des émissions de GES et d’abord du CO2 sans oublier ce GES terrible qu’est la vapeur d’eau. Les membres de la secte hydrogéniste – ceux qui voient dans l’hydrogène la solution de tous nos maux ne devraient oublier que la combustion de l’hydrogène produit de la vapeur d’eau !

Énumérons rapidement quelques mesures radicales qui pourraient être prises, si cette affaire était traitée sérieusement. Premièrement, en finir avec les transports maritimes et aériens longue distance pour les marchandises : plus de voitures ou d’ordinateurs venant de Chine, plus d’ananas par avion, etc. donc en finir avec la mondialisation capitaliste, et donc restaurer des frontières économiques, relocaliser les productions : cela renchérira notablement le coût des marchandises, mais les rendra plus précieuses, limitant les gaspillages. Un exemple : les gaspillages faramineux de vêtement portés deux fois et laissés au rebut ; voir aussi l’article de Jean-François Collin sur les frites surgelées. On peut aussi limiter drastiquement le poids et la vitesse des automobiles : pas plus d’une tonne et pas plus de 110 km/h (vitesse limitée par le constructeur, comme jadis le 50 km/h des vélomoteurs). Limiter les mobilités pour l’emploi – aujourd’hui des millions de gens passent plusieurs heures par jour dans les transports et souvent seuls dans leur voiture. La mobilté exigée par le patron se paye cher ! Quant aux classes dirigeantes si promptes à faire la morale aux gens ordinaires, elles pourraient montrer l’exemple, ce qu’elles se garderont bien de faire. Les 1 % des plus riches émettent autant de CO2 que les 50 % des plus pauvres ! Ferrari bat ses records de vente de voitures, pendant que les constructeurs de yachts remplissent leurs carnets de commande. Bref entendre les criminels prêcher la vertu, ça finit pas nous fatiguer.

Le capital dévore la planète

Mais il n’y a pas que le CO2 et le climat. En vérité, le capital dévore la planète. L’artificialisation des sols grignote chaque jour un peu plus les terres arables. Pour un agriculteur français, il est plus rentable de planter des panneaux photovoltaïques que du blé… Les ressources en matière première s’épuisent. On a lancé le projet « tout électrique » alors que les ressources en cuivre connues seront consommées à 60 % dans les trois prochaines décennies… Les batteries nickel-lithium exigent du nickel et du lithium ! Mais ces métaux sont relativement rares. Le nickel est abondant… dans le noyau terrestre. On invoquera la possibilité de recyclage. Outre que le recyclage est coûteux en énergie (et donc coûteux tout court), il est extrêmement difficile pour les « terres rares » des composants électroniques des téléphones portables et autres instruments de la digitalisation du monde.

Une gestion prudente s’imposerait donc avec un souci constant d’économie (au sens premier du terme). Mais la logique du capital est l’accumulation pour l’accumulation. La « croissance » est sa condition de vie ou de mort. Il lui faut sans cesse trouver de nouveaux champs d’accumulation, donc transformer en marchandises tout ce qui peut l’être, la terre, la mer, l’air, le corps humain. Et régulièrement procéder à des destructions massives de marchandises et de capitaux, qui permettent de relancer le cycle du capital sur des bases nouvelles. La « transition écologique » pourrait bien se révéler l’équivalent d’une guerre camoufflée : on va mettre au rencart des voitures, des équipements, des habitations, et des humains, au nom de la rénovation énergétique, de la transition écologique, de la sauvegarde de la planète. Gigantesque farce tragique !

Revenir aux fondamentaux

Si la tartufferie des dominants et les pires absurdités s’accumulent, et néanmoins reçoivent l’appui de la classe politico-médiatique unie, il faut remettre un peu d’ordre dans tout cela pour essayer de penser clairement ce qui est en question.

Marx analyse ainsi le développement du procès de production capitaliste (je me contente de reprendre ici ce que j’écrivais dans ma Lecture du Capital de Marx) :

Plus la force de travail s’accroît, plus on peut raccourcir la journée de travail et plus la journée de travail est abrégée, plus l’intensité du travail peut s’accroître. Du point de vue social, la productivité du travail augmente aussi avec l’économie qu’on en fait. Celle-ci n’implique pas seulement qu’on économise les moyens de production, mais qu’on évite toute sorte de travail inutile. Alors que le mode de production capitaliste contraint à faire des économies dans toute entreprise individuelle, son système de concurrence anarchique engendre les plus immenses gaspillages de moyens sociaux de production et de force de travail, en même temps qu’un nombre faramineux de fonctions aujourd’hui indispensables, mais en soi totalement superflues. (593)

Essayons de voir ce que cela veut dire aujourd’hui.

Gaspillage de moyens de production : la concurrence produit en permanence des ruines industrielles. Des usines sont abandonnées, alors qu’elles pouvaient parfaitement continuer de fonctionner. Les ressources naturelles sont épuisées par le mode de production capitaliste. La pollution de l’air, de l’eau, des terres : tout cela est bien connu et parfaitement documenté aujourd’hui. Gaspillage de nourriture alors même que la question de l’alimentation minimale est loin d’être résolue pour une large fraction de l’humanité. Gaspillage de produits du travail avec l’obsolescence accélérée qu’implique la rotation accélérée du capital.

Gaspillage de force de travail : le taux de chômage moyen dans le monde s’élève selon l’OCDE à 8,4 %. Cela représente des centaines de millions d’individus privés de travail… à quoi l’on pourrait rajouter évidemment tout le chômage invisible, les jeunes parqués dans de prétendues études supérieures démesurément allongées, les femmes qui voudraient travailler et sont maintenues au foyer, les faux handicapés (spécialité britannique), etc.

Fonctions inutiles  : tout ce qui concerne la spéculation et les marchés financiers. Peut-on faire le compte ? En France, plus de 10.000 entreprises dans le secteur de la publicité et plus de 100.000 employés, souvent d’un haut niveau de formation. Sans parler de la bureaucratie étatique et entrepreneuriale qui, pour une part importante n’a pas d’autre fonction que d’assurer l’extraction de la survaleur ou tout simplement entretenir le prestige des possédants. Là aussi, il faudrait des statistiques globales pour évaluer l’ampleur du phénomène.

À quoi on pourrait ajouter le fait que le travail sous sa forme capitaliste étant épuisant, des millions d’individus partent à la retraite, volontaire ou forcée alors que, dans d’autres conditions, ils resteraient productifs socialement bien plus longtemps. Et beaucoup de jeunes gens végètent dans des études bidons pour ne pas gonfler les statistiques du chômage.

Faire le compte de tout cela nous donnerait une indication de la baisse radicale de la durée du travail qui serait possible avec d’autres rapports sociaux. Avec une journée de 3 ou 4 heures, on pourrait sans problème assurer non seulement la production actuelle, mais encore une « opulence décente » pour tous. Mais pour cela il faudrait une société économe au vieux sens du terme, une société qui ménage ses ressources et qui donc ne soit pas soumise à la valorisation de la valeur comme moteur de toute l’activité productive.

Ainsi que le dit Marx :

À intensité et force productive du travail données, la partie de la journée de travail nécessaire à la production matérielle est d’autant plus courte, et donc la partie de temps conquise pour des occupations libres, spirituelles et sociales des individus est d’autant plus grande que le travail est plus uniformément réparti entre tous les membres de la société en mesure de travailler et qu’il est moins possible qu’une couche de la société se défasse de la nécessité naturelle du travail pour en accabler une autre couche sociale. Dans cette perspective, la limite absolue du raccourcissement de la journée de travail est la généralisation universelle du travail. Tandis que dans la société capitaliste, on produit du temps libre pour une classe en transformant tout le temps de vie des masses en temps de travail. (593)

C’est très clair : l’oisif ira loger ailleurs, comme disent les paroles de l’Internationale ou encore, comme le dit saint Paul, « qui ne travaille pas ne mange pas ». Mais du même coup, c’est le loisir pour tous qui devient possible et n’est plus réservé à une classe sociale particulière. Dans ce qui sert de conclusion au livre III du Capital, Marx écrit à propos du travail et de la production après l’abolition du mode de production capitaliste :

Dans ce domaine,

la liberté ne peut consister qu’en ceci : les producteurs associés — l’homme socialisé — règlent de manière rationnelle leurs échanges avec la nature et les soumettent à leur contrôle commun au lieu d’être dominés par la puissance aveugle de ces échanges ; et ils les accomplissent en dépensant le moins d’énergie possible, dans les conditions les plus dignes et les plus conformes à leur nature humaine. (souligné par nous, DC)

Une autre perspective

Quand on fait les comptes, il n’est plus question de croissance ni de décroissance. Il faut simplement remettre tout à plat. Nos sociétés soit-disant hyper-productives sont en réalité de moins en moins productives puisque pour obtenir le travail d’une seule personne, il y a maintenant une hiérarchie de parasites à faire pâlir de jalousie feue la bureaucratie soviétique. Communiquants, cabinets d’audit, spécialistes du marketing et autres « bullshit jobs » (voir David Graeber, La bureaucratie) non seulement sont payés pour des activités inutiles et même le plus souvent nuisibles, mais encore gaspillent des bureaux à chauffer, climatiser et éclairer, consomment des ressources énergétiques dans leurs innombrables connexions informatiques, et produisent directement ou indirectement le stress des travailleurs qui conduit au burn-out, aux accidents du travail et à la destruction de la principale force productive, le travail.

Il est de ton dans les milieux de la gauche « vraiment à gauche » de dénoncer le « libéralisme » ou le « néolibéralisme ». Mais c’est une mauvaise plaisanterie. Le mode de production capitaliste moderne n’est pas libéral, il est centralisateur, bureaucratique et l’esprit de flicage policier règne en maître. Le régime chinois n’est que l’une des variantes du capitalisme d’aujourd’hui. Mais les grandes entreprises qui dominent le monde ne sont pas essentiellement différentes, ni dans leurs objectifs, ni dans leurs méthodes, ni même dans les discours lénifiants prétendant qu’ils n’agissent que pour le plus grand bien de tous.

Le discrédit dans lequel est tombé le socialisme tient précisément à ce qu’il n’a pas proposé une perspective foncièrement différente de celle du capitalisme, mais a surtout prolongé jusqu’à l’absurde les tendances profondes du mode de production capitaliste. Et comme le capitalisme, le socialisme réellement existant a détruit aveuglément la terre et le travail. Voilà pourquoi un socialisme pour les temps nouveaux doit partir d’un bilan critique du vieux socialisme et pourrait ainsi se réconcilier avec les classes laborieuses qui se sont radicalement détournée de lui.

Denis COLLIN – le 23 novembre 2022