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Lorsque Ruffin se mélenchonise…

vendredi 9 juin 2023, par Jacques COTTA

Depuis la création de la France Insoumise, François Ruffin fait entendre une musique particulière. Pour nombre d’hésitants ou de déçus du mouvement gazeux et de son chef, Jean Luc Mélenchon, Ruffin pourrait incarner une relève permettant de revenir aux sources. Il serait plus attaché, comme la presse l’indique, aux questions sociales que sociétales. Le délire « wokiste » qui s’est emparé de nombreux responsables « insoumis » jusqu’à Mélenchon lui-même, lui serait étranger.

Son point de repère est lié à sa région d’origine, Amiens et la Picardie. C’est là que par milliers les emplois ont été sacrifiés sur l’autel de la mondialisation financière. Des dizaines d’usines ont fermé leurs portes, les unes après les autres. La bataille emblématique des « Goodyear » en a donné une image poignante. C’est là que Ruffin est censé regrouper, c’est là qu’il doit trouver sa base, c’est à cette France qu’il déclare vouloir s’adresser. Pour cela, il doit tenir un cap, respecter et promouvoir des valeurs, ne pas faiblir, ne pas faillir.

Pourtant, à deux reprises, Ruffin a fait machine arrière sur des questions essentielles, liées à la République, ses principes, et plus, à une certaine idée de la civilisation, des rapports humains mis en péril par l’idéologie en vogue que le wokisme incarne à travers des questions très particulières.

François Ruffin recule t’il par erreur, par manque de réflexion, ou exprime t’il de la sorte une orientation faite de conciliations avec l’inconciliable, de capitulations, de renoncements ?

L’amour du foot

La première reculade de Ruffin pouvait être mise sur le compte de l’inexpérience, à l’occasion de « la manifestation contre l’islamophobie » du 10 novembre 2019 à Paris.

« Je n’irai pas dimanche, je joue au foot », expliquait alors le député de La France Insoumise. 

En réalité, cette manifestation organisée par le « Collectif contre l’islamophobie en France » et autres officines « fréristes » n’avait d’autre but que l’assimilation des musulmans à l’islamisme, et donc la condamnation de toute remise en cause de la théorie islamiste au nom de la tolérance et de l’antiracisme. La manoeuvre était grossière, mais souvent, plus c’est gros, plus ça passe. C’est ainsi qu’à l’exception du PS, la gauche dans son ensemble, Jean-Luc Mélenchon en tête, une pléiade d’élus de la FI, mais aussi Philippe Martinez alors responsable de la CGT, ou autres communautaristes à la mode wokiste, telle Rokhaya Diallo, ou encore la verte Esther Benbassa, sénatrice de Paris, s’affichaient dans une manifestation dont des centaines, à quelques pas du bataclan, entonnaient le fameux « Allahu Akbar ».

Les islamistes avaient bien mené leur affaire. En amont de cette démonstration, ils faisaient signer un appel à manifester « contre les lois liberticides ». En réalité, ils visaient les lois de 2004 sur les signes religieux à l’école ou encore celle de 2010 sur l’interdiction de la Burqa. Contrairement aux justifications que les responsables de gauche ont voulu apporter à leur présence à côté de militants islamistes, cette manifestation n’était en rien une manifestation pour la liberté de conscience, pour le droit des minorités à ne pas être agressées, pourchassées, une manifestation contre la haine des musulmans, mais une manifestation contre toute critique à la religion musulmane.

Le refus de se mêler à une manifestation politique, en réalité communautariste, guidée par les adeptes des frères musulmans, aurait dû permettre de rappeler les principes balayés par l’essentiel de la gauche. La plupart des députés LFI derrière Mélenchon signaient la proclamation islamiste, et curieusement Ruffin aussi. Une erreur disait-il d’abord. « J’étais à Bruxelles en train de manger des frites et des gaufres avec mes enfants », a-t-il alors éludé pour sous-entendre qu’il avait donné son accord sans vraiment s’en préoccuper. « Ce n’est pas mon truc. J’étais en vacances ».

Il eut suffi que le député de la Somme en restât là. La démarcation aurait été timide, mais réelle.

Mais au lendemain de la manifestation, il est sommé de s’expliquer. Il se déclare « pas à l’aise avec les questions religieuses et confessionnelles lorsqu’elles se mêlent de politique… » puis déclare « comprendre qu’il y ait des gens qui le fassent, qui dans un moment où ils ont un sentiment d’abandon viennent faire collectif pour dire nous existons dans la société française, nous vous demandons de nous protéger… ».

C’est ainsi qu’il reprenait à son compte les arguments de la gauche capitularde en réduisant cette manifestation purement politique, anti laïque et anti républicaine, à une preuve d’antiracisme, tout simplement. Par naïveté pouvait-on croire, voulait-on croire, Ruffin entrait dans le rang…

Un pas en avant, deux en arrière

C’est à l’occasion de la débandade électorale de gauche dans une série de pays d’Europe ces derniers mois que François Ruffin a été amené à faire deux pas en arrière après un petit en avant.

-* Elections espagnoles

Avec la perte de 10 à 65% de son électorat selon les régions, le PSOE et PODEMOS ont abandonné une série de positions déterminantes à la droite espagnole dans 9 des 12 communautés autonomes qui renouvelaient dernièrement leurs assemblées. Symboliquement, la gauche livre à la droite les mairies de Séville et de Valence. Au sein de la gauche espagnole, PODEMOS donc, le petit frère jumeau de la France Insoumise, perd plus de la moitié de ses voix par rapport aux précédentes élections. La gauche espagnole dans son déclin accompagne la Grèce, où le 21 mai, Alexis Tsipras, chef de file de Syriza, est sorti grand perdant des élections législatives, accompagne la Finlande où la coalition de centre gauche a perdu le pouvoir à l’issue des législatives du 2 avril, accompagne l’Italie ou la gauche a pratiquement disparu.

-* Confirmation politique

La situation se prête aux arguments que met en avant le député de la somme, les mêmes causes entrainant logiquement les mêmes effets. Depuis plusieurs décennies la gauche paye le prix d’une politique de droite qu’elle met en pratique avec gourmandise lorsqu’elle est au pouvoir.

Mêmes causes, mêmes effets.

La politique d’Alexis Tsipras en Grèce dans le domaine des retraites -baisse du montant des pensions, allongement de l’âge de départ notamment- s’inscrit dans la mise en coupe réglée du pays après la crise financière de 2008 pour satisfaire « les créanciers », la BCI, le FMI, l’union européenne et la commission.

En Italie, la décision du Mouvement 5 Étoiles d’accepter au début de l’année 2021 de participer à un gouvernement d’unité nationale dirigé par Mario Draghi, l’ex-président de la Banque centrale européenne, lui a été logiquement fatale.

En Finlance, depuis janvier 2017, l’âge de la retraite est relevé de 3 mois par an et sera de 65 ans en 2027 pour « être ensuite lié à l’espérance de vie ».

Et en Espagne, l’âge de départ à la retraite avait déjà été repoussé à 67 ans, mesure qui devrait entrer en vigueur en 2027, par le gouvernement socialiste de José Luis Zapatero en 2011. Les classes sociales ont une mémoire et la gestion du capitalisme coûte cher à ceux qui un temps incarnent des espoirs aussi réels qu’illusoires de rupture et de changement.

Les questions sociales et économiques, dont les retraites, expliquent en partie la débandade généralisée de la gauche et de ceux qui s’en réclament. Mais en partie seulement. Ce sont aussi des questions « sociétales » qui permettent de comprendre les revirements du corps électoral. Et de ce point de vue, l’Espagne fait office de laboratoire.

Ruffin et la valse à deux temps

En Espagne, PODEMOS a notamment participé à la mise en place au niveau fédéral d’une loi permettant « le changement de genre à l’âge de 16 ans sans accord parental ». Et selon quelques modalités secondaires, les mineurs de 12 à 16 ans vont pouvoir aussi changer de sexe… Ainsi, le genre est placé au dessus du sexe biologique, le sexe biologique devenant optionnel.

Interrogé par « France Info », François Ruffin a expliqué que des mesures comme celles-ci ne sont pas selon lui des priorités.

« Le cœur du sujet, c’est le travail, le partage des richesses, c’est la démocratie (…) » a t’il attaqué fort justement avant de poursuivre :
« On a une société qui est profondément fracturée en France. […] Dans ce climat de tensions, d’épuisement des esprits, il faut de l’apaisement, de la stabilité, reconstruire des ponts, réparer les fractures et ne pas les creuser davantage. Dans ce cadre-là, on ne devra pas faire tout ce qui nous passe par la tête, tout ce qui est peut-être même bon en soi. Il faudra chercher les chemins qui permettent de réconcilier la société actuelle ».

Tout ce qui est peut-être bon en soi ? Le changement de sexe sur simple demande au nom du genre, est-ce bon en soi ?

 Une loi sur le genre ou la GPA ? demande le journaliste.

 Ce n’est pas ce qu’on doit mettre au cœur de notre projet.

François Ruffin prend donc des distances, timidement certes, mais des distances inhabituelles sur ces questions dans les rangs insoumis.

Plus nettement, le député insoumis aurait pu expliquer qu’à l’heure où plus de 50% des ménages ne mangent pas à leur faim, où des millions sautent un repas par manque de moyens, la question des opérations chirurgicales pour permettre à Claude de devenir Claudine, ou à Martine de devenir Martin, n’était pas une priorité collective.

Evidemment il ne s’agit pas de nier la souffrance individuelle de ceux qui vivent mal le sexe que la nature leur a donnée. Chaque cas doit être pris en compte dans un cadre psychologique, psychiatrique ou médical adapté. Mais politiquement, on ne peut réduire le cadre collectif qui gère la communauté politique à une multiplicité de volontés individuelles assez minoritaires. En réalité, cette histoire de « genre » qui domine dans l’orthodoxie « woke » est donc l’idée que chacun de nous appartient à un groupe défini par son genre, sa race ou son ethnicité et que nos opinions peuvent être prédites selon le groupe auquel on est rattaché. Avec le wokisme et l’obsession du genre, ce sont donc les classes sociales qui disparaissent. Et avec elles la luttes de classes.

Même timides et prudentes, les distances prises avec l’orthodoxie woke qui s’est emparée de la France Insoumise a attiré sur Ruffin les foudres de l’entourage proche de Mélenchon, qui à cette occasion donne sans le dire ouvertement le fond de sa pensée sur la question.

Sophia Chikirou d’abord.
« Ce n’est en rien une position de la France insoumise ni du groupe parlementaire. Ce propos, en ce jour, est au mieux maladroit, au pire une faute politique. Comptez sur les Insoumis pour les combats pour la liberté ».
Les insoumis se définissent donc, selon Sophia Chikirou, comme porteurs du combat pour le changement de sexe à la carte.

Le député insoumis Andy Kerbrat ensuite.
« Nous portons la lutte pour que les personnes trans puissent changer la mention de genre mais surtout l’autodétermination du genre dans la Constitution. Nous avons un programme construit par des Trans, Lesbiennes, Gays, Bis, Allié-es. Et aucun-es député-es ne le remet en cause ».
Dans le respect de l’écriture inclusive à la mode woke, le député donne donc une indication sur les rédacteurs du programme insoumis et sur son caractère communautarisé.

Ruffin, fidèle à l’image qu’il veut donner, aurait pu envoyer balader tout ce beau monde. La lutte des classes appelle le rassemblement des ouvriers, des salariés, des jeunes, des retraités, indépendamment de leur envies personnelles, de leurs pratiques, sexuelles qui plus est. Le wokisme et l’obsession du genre sont l’expression d’une décomposition qui menacent à terme jusqu’aux fondements de notre civilisation.

Le lendemain de sa déclaration, il fait une mise au point. Ceux qui attendaient un minimum de clarté, de fidélité, en seront pour leurs frais.

« Hier matin, dès ma sortie du plateau de franceinfo, j’ai dit à mes collabs :
"Ma réponse sur le genre, ça va pas. J’aurais dû rappeler des évidences". 
« L’évidence, c’est la condamnation de l’attaque du centre LGBT+ de Tours par l’extrême droite. L’évidence, c’est de parler des vies blessées par les humiliations »
, avouant devoir « progresser » sur ce genre de sujets.

« Progresser », vraiment ?

Question de programme

Durant la campagne électorale de 2017 Jean Luc Mélenchon au nom des insoumis a développé une ligne sociale, réhabilitant la nation, renouant avec le combat pour la souveraineté nationale, une ligne républicaine. Il regroupait des franges qui depuis un temps avaient tourné le dos à la politique, des jeunes notamment, visibles dans chacune de ses apparitions. Électoralement, une partie des déçus de la gauche retrouvait le chemin des urnes. D’autres délaissaient le RN vers lequel ils se tournaient par dépit depuis des années.

Au lendemain de ces élections, Jean Luc Mélenchon décidait un virage à 180° pour « renouer avec la gauche ». Il prenait ainsi ses distances avec ce qui avait permis un score inespéré. Contre l’espoir de voir une force politique nouvelle, démocratique, un véritable parti implanté nationalement, Jean Luc Mélenchon défendait l’idée d’« un mouvement gazeux » lui permettant avec son entourage proche de diriger et de dicter la ligne.

Il lui fallait pour cela un document baptisé programme lui donnant une légitimité apparemment démocratique. C’est pour l’élection de 2022 que celui-ci est mis en avant.

Quel chemin parcouru !

La France insoumise y propose « d’inscrire le droit à l’autodétermination du genre dans les droits humains inaliénables protégés par la Constitution de la VIe République » et de « rembourser à 100 % par la Sécurité sociale les soins de transition, sans devoir passer par une procédure de reconnaissance d’affection de longue durée (ALD) ».

Le wokisme, orientation dirigée contre le prolétariat et les salariés, a été installé au coeur de la France Insoumise. A moins d’une rupture assumée, c’est l’orientation que Ruffin dit vouloir privilégier qui sera -qui est déjà- victime…

Jacques Cotta
Le 9 juin 2023

Messages

  • Danielle Riva
    Ruffin m’insupporte depuis son film "merci patron". Il a utilisé le drame d’ouvriers (es) licenciés - sans nouvel emploi pour la plupart - pour les utiliser dans un petit tour de fourberie, un soit disant piège pour "Bernard" Arnault, le grand patron du CAC40. Qu’avaient donc à perdre cette famille ? Rien ! Peut-être gagner un peu d’argent. Ou un procès si le coup dérapait. Bref, C’est ce petit tour de passe passe qui a plu à tout le monde. et quand les spectateurs riaient j’avais quand même du mal à rire, car ce couple était piégé par Ruffin. Le grand patron du CAC 40, de LVMH humilié !. 1 - je ne pense pas que "Bernard" ait été humilié, quant à LVMH elle continue de faire des profits. "Ce n’et que justice" grâce à Ruffin ce nouveau Robin des bois futé. 2 - Bon si c’est cela sa conception de la lutte de classe - une comédie cinématographique - je n’y souscrit absolument pas. 3/ Ruffin, populaire grâce à ce film, pense maintenant qu’il a peut-être ses chances pour ... la Présidentielle. Je dis tout cela car je ne peux m’empêcher de penser à Ken Loach qui fait, lui, des films réellement engagés. Pas de comparaison possible.

  • Jacques, merci pour ton article sur Ruffin. Permets-moi cependant d’y ajouter une anecdote, qui ne redore pas le personnage picard. Ruffin est un pote à macron. Ils sont allés dans le même lycée de jésuites, "La Providence" à Amiens. La soeur de Ruffin était dans la même classe que macron. Ils se battaient tous les deux pour être le premier. Cela, c’est le décor. Arrive la campagne de 2017. Les salariés licenciés d’ECOPLA (Isère) demandent à Ruffin de les aider. Ruffin les conduit à la Tour Montparnasse, siège du QG de Macron. Celui-ci leur promet de leur rendre visite dans l’Isère. Promesse tenue, mais il en profite pour vendre son programme ultralibéral, qui ne crée aucun emploi. Ruffin présent demande aux salariés de l’applaudir. Une fois élu, macron oublie complètement les salariés d’ECOPLA, tout comme Ruffin. Ruffin est donc un politicard comme les autres. Attendre de lui un sursaut de la FI est donc d’une grande naïveté. Brigitte

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