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Domaine réservé : le coup d’État permanent

dimanche 27 août 2023, par Denis COLLIN

Domaine réservé : le coup d’État permanent

Ainsi le président de la République vient de déclarer qu’il allait faire des propositions sur l’Éducation nationale, celle-ci faisant partie, paraît-il, de son « domaine réservé ». On se demande bien pourquoi Attal vient d’être nommé rue de Grenelle : il est prévenu, le vrai « ministre de l’EN » est à l’Élysée !

Cette histoire de domaine réservé est une énorme foutaise dont on nous rebat les oreilles depuis des décennies. Les journalistes ignares et les politiciens ignares répètent que « la politique étrangère est le domaine réservé du président de la République ». Mais dans la Constitution, il n’y a pas l’ombre d’une mention d’une telle calembredaine. L’article 5 définit le rôle du président : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. » Pour l’indépendance nationale, Macron, comme ses derniers prédécesseurs, a entièrement failli. Mais passons. La prérogative essentielle est définie à l’article 8 : « Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions. » Et, normalement, ça s’arrête là ! Ensuite, c’est au gouvernement de jouer. Puisque, article 20 : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Il dispose de l’administration et de la force armée. Il est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50. » Les exemples de cohabitation (Mitterrand avec Chirac en 1986-1988 et Chirac avec Jospin, 1997-2002) ont montré que le président peut lancer quelques croche-pieds à un Premier ministre qui n’est pas de son bord ; mais, en gros, il ne peut guère empêcher un gouvernement d’appliquer la politique pour laquelle il a reçu la confiance du parlement. Ce n’est pas Chirac qui a obligé Jospin à privatiser France Télécom. Il a fait ça tout seul, comme un grand. Chirac n’a fait que suivre Jospin lors de l’intervention militaire en Afghanistan en 2001. Et, fort heureusement, Jospin avait disparu de la scène et Chirac a suivi Villepin en 2003 en ne participant pas à l’expédition de Bush en Irak.

Donc pas de domaine réservé ! Le président, qui dispose de grands pouvoirs et de gros moyens, n’est pas encore un autocrate, si on s’en tient aux termes de la Constitution de 1958 qui n’est pas une Constitution présidentielle, mais semi-présidentielle, semi-parlementaire, ainsi que l’avait voulu non pas de Gaulle, mais Michel Debré… Certes, on ne peut guère attendre d’un Macron ou de l’un de ces journalistes illettrés qui servent la soupe, de comprendre ces subtilités.

Avec le « domaine réservé » de l’EN, Macron a cependant fait un pas de plus. Il a officiellement disqualifié le gouvernement, son propre gouvernement. Si Madame Borne avait un peu d’honneur, elle aurait remis sa démission. Si les chefs des partis étaient encore des représentants du peuple, ils auraient dû monter sur leurs plus grands chevaux, dénoncer haut et fort l’imposture, organiser la grève générale des parlementaires (comme le peuple romain quand il fit sécession sur l’Aventin). Mais non, rien ! Silence assourdissant. Ne pas troubler la digestion de ces messieurs les politiciens, tous sans exception acceptent ce mini coup d’État. La seule chose importante, on le sait, ce sont les prochaines Européennes et les bons postes à se partager.

Et vous voudriez qu’on aille encore voter ?

Denis COLLIN — le 27 août 2023