Accueil > Actualité > Gilets jaunes, diversité, et FN-RN

Gilets jaunes, diversité, et FN-RN

Une nouvelle provocation pour tenter de discréditer un mouvement social sans précédent.

vendredi 1er mars 2019, par Jacques COTTA

Dans la presse officielle -quotidiens, hebdos, radios ou télés- l’assimilation du mouvement des Gilets jaunes au FN-RN et à Marine Le Pen est un des axes choisis pour tenter de faire douter et de faire reculer le degré de sympathie qui perdure dans l’opinion. Les multiples provocations -quenelles, injures, tags, antisémitisme, violences- porteraient leurs fruits à merveille si des affrontements éclataient entre Gilets jaunes aux idées opposées. « Fachos » d’un côté, « antifas » de l’autre, le rêve macronien réalisé pour en finir une fois pour toutes avec ce mouvement social historique.

Pour le moment ce stade supérieur de la provocation n’a pas été atteint. Les différentes tentatives ont échoué. Les GJ, qu’ils aient une appartenance partisane ou pas, demeurent axés sur l’essentiel. Depuis l’occupation des ronds points, depuis plus de trois mois, rien n’a fait dévier ce mouvement social motivé par le pouvoir d’achat, les salaires, les retraites, le frigo vide le 20 du mois, les services publics, la justice fiscale, le rétablissement de l’ISF ou encore une autre répartition des richesses, notamment avec les 45 milliards annuels de CICE censés ruisseler jusqu’au sein de la société, qui vont dans la poche des actionnaires. Rien n’a fait dévier des soucis démocratiques exprimés dans le RIC et opposés à la 5ème république dont les démonstrations quotidiennes, parmi lesquelles les frasques de monsieur Benalla, renforcent la détermination populaire. Rien n’a pu s’opposer à cette revendication partagée d’« un gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple », qui résume la double exigence de démocratie et de souveraineté.

L’argument ultime approche. Déjà nous dit-on « le RN sera aux prochaines élections européennes le grand gagnant du mouvement des GJ ». La provocation qui n’a pas marché pour le moment sur le terrain de la rue va donc emprunter le chemin électoral. Mais pour marcher, il faudrait que les GJ perdent soudain l’intelligence dont ils ont fait preuve jusque là en déjouant toutes les manoeuvres. Car tout cela risque fort, au grand désarroi de leurs instigateurs, de s’avérer beaucoup plus compliqué qu’il n’y parait.

Les GJ comprennent en effet un peu plus chaque jour que l’union européenne est un des obstacles à leurs revendications et que quelle que soit la majorité issue des prochaines élections, les directives et l’infrastructure de l’UE rendent impossible leur satisfaction.
Pour les hésitants, il ne suffira en effet pas à Marine Le Pen de crier fort pour « ramasser la mise », mais il lui faudra faire la démonstration que son orientation est conforme à la volonté exprimée depuis plus de trois mois par les GJ. Nombre de militants du RN risquent alors de se trouver confrontés à la vérité des prix.
Plutôt que de caricaturer à la va-vite le RN-FN, rejetant chacun dans ses certitudes partisanes, il est urgent d’aborder quelques questions qui permettent de voir précisément ce qu’est la politique préconisée par le rassemblement de Marine Le Pen et les intérêts qu’elle sert.

Marine le Pen et le RN sont opposés à l’augmentation du SMIC, pourtant une des revendications centrales des GJ, toutes tendances confondues, qui concentre la question du pouvoir d’achat.
La responsable du FN-RN se prononce en effet pour la « baisse des charges », ce qui nous ramène à une conception « medef-compatible ». Mais cela n’a strictement rien à voir avec l’augmentation des salaires en général et du SMIC en particulier. Ce que les employeurs, les commentateurs ou autres responsables politiques nomment les charges n’est en réalité qu’une part du salaire, le salaire différé, qui est socialisé. Il ne s’agit pas de charges, qui par définition mériteraient d’être diminuées, mais de cotisations sociales qui permettent le financement de notre sécurité sociale, de nos retraites, de la maladie, etc… Marine Le Pen et le FN-RN ont sur cette question la même position qu’Emmanuel Macron. Elle aboutit à une escroquerie grossière. Pour faire apparaitre en bas de la feuille de paie un gain pour les salariés, il s’agit de piquer ce qui est invisible, mais qui pourtant nous appartient, et d’effectuer un simple transfert. On prend dans la poche droite pour la mettre dans la gauche mais on ne modifie en rien ce qui se trouve dans les deux poches réunis. Si la manoeuvre ne permet aucun gain pour les salariés, elle aboutit par contre à assécher les sources de financement de ce qui concerne tous les citoyens, services publics, retraites, protection sociale…

Marine le Pen et ses députés n’ont pas voté la loi anti manifestation, loi dite « anti-casseurs », oui mais…
Le texte gouvernemental étend les pouvoirs de la police et ouvre la voie à l’interdiction administrative de manifester en dehors de toute procédure judiciaire. La justice elle-même est sous pression, avec une directive envoyée aux procureurs leur demandant de violer la loi à l’encontre des GJ, notamment en les retenant sans raison, sinon celle de leur interdire de rejoindre les manifestations. Ces mesures n’ont d’autre but que d’affronter en amont la mobilisation des GJ qui déjà ont subi plus de 9000 arrestations, plus de 1500 gardes à vue, plusieurs centaines de blessés dont certains marqués à vie -énucléés, amputés- plus de 14 morts dus à l’intransigeance du pouvoir. Evidemment les GJ rejettent une telle loi, conscients de son caractère totalement liberticide pour tous ceux qui décident de contester l’ordre social ou politique.

Le FN-RN n’a pas voté cette loi, après que certains de ses cadres ont connu une véritable frayeur électorale. Marine le Pen et quelques-uns de ses portes paroles ont en effet navigué à vue, montrant que sur la question du combat social tout n’est en fait que question d’opportunité, plus que de convictions.

Lorsque le 7 janvier Edouard Philippe propose ce projet de loi, le FN ne s’oppose pas, gardant un silence prudent.
Puis le 24 janvier, devant la presse parlementaire, on apprend que les députés FN voteraient la loi au nom de la défense de l’ordre car cette loi « va rajouter des possibilités contre les casseurs » en déplorant d’ailleurs « qu’à chaque fois on a des textes supplémentaires qui ne sont en réalité jamais appliqués ». Bref ce texte proposé par le gouvernement, visant un tournant autoritaire pour en finir avec la contestation sociale, selon l’aveu même de la majorité LR au sénat qui en est l’instigatrice, trouve un écho positif au sommet du FN.
C’est enfin quelques jours avant le vote que Marine le Pen et ses portes paroles annoncent qu’il ne voteront pas ce texte, sentant le prix qu’il y aurait sans doute à payer en terme électoral aux prochaines européennes. C’est sur ce terrain électoral que le système attend que le FN-RN lui apporte, comme d’autres, PS, PCF, FI par exemple, sa collaboration pleine et entière en cautionnant l’union européenne, son existence, ses institutions et de fait ses traités.
Marine le Pen, le RN et le grand tournant sur l’Europe.
Il est maintenant habituel d’évoquer le débat de l’entre deux tours des présidentielles avec Emmanuel Macron pour expliquer la mauvaise performance de la leader du FN-RN. « Mauvaise », « agressive », « énervée » sans doute, mais là n’est pas l’essentiel même si dans le domaine télévisé le sourire l’emporte toujours sur la crispation. Ce qui compte c’est l’orientation. Et celle de Marine le Pen qui recolle directement à l’union européenne et à l’euro constitue le véritable tournant qui gomme le peu de vernis contestataire du FN-RN. Car l’Union européenne est en effet le coeur du problème : les directives, la politique dictée par Bruxelles à Macron lorsqu’il ne la devance pas, sont les principaux obstacles aux revendications des GJ. Le démantèlement de la protection sociale, la précarité, les services publics rabaissés ou privatisés, le Smic, l’injustice fiscale, l’asphyxie des petites et moyennes entreprises, l’étranglement de l’artisanat, et toute autre préoccupation des GJ, trouvent sur leur chemin le diktat de Bruxelles qu’exprime avec clarté le commissaire Moscovici, l’ancien ministre « socialiste » de Hollande.

En retirant de leur programme la revendication emblématique de la sortie de l’Euro et de l’union européenne dans le seul but de gagner électoralement les électeurs les plus âgés qui y sont majoritairement opposés, les responsables du FN-RN donnent une place officielle à leur mouvement aux côtés de la droite classique qui déjà a fait ses preuves au compte du système dont le FN-RN s’affirme dès lors comme une composante officielle. Un parti de « droite » comme les autres, ni plus, ni moins qu’il ne sert à rien de distinguer et de saisir comme parti anti-système. Le FN-RN, c’est le système sur le fond comme sur la forme, permettant l’élection systématique de candidats de n’importe quelle étiquette pourvu qu’il soit pour le maintien de la France dans l’Union Européenne.
Avec la droite classique, le FN-RN qui propose le maintien dans l’UE et dans l’Euro renonce à la souveraineté de la France et se prive, quoi qu’il dise, des moyens de résoudre les problèmes de notre pays. L’Union européenne prive en effet les pays membres de leur souveraineté dans cinq domaines appelés les « compétences exclusives » (article 3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) que sont l’union douanière, les règles de la concurrence sur le marché intérieur, la politique commerciale commune, la pêche et la politique monétaire.
1.- L’union douanière interdit à La France la maîtrise de ses frontières. Le FN-RN, comme tous ceux qui se soumettent à l’UE, accepte donc l’impuissance dans au moins 3 domaines, la « protection » de l’agriculture française des importations qui détruisent la production nationale, la « protection » des ouvriers et de l’industrie française contre les délocalisations, les importations industrielles à bas prix grâce au dumping social, fiscal, environnemental, et la protection contre « l’invasion migratoire », dont la dénonciation est son fond de commerce.

2.- Les règles de concurrence sur le marché intérieur. Le FN-RN, contrairement à ce qu’il promet, ne pourra pas aider certaines activités économiques en France puisque c’est interdit par les traités européens dont il ne veut plus sortir.

3.- la politique commerciale commune. Le FN-RN se soumet aux traités européens qui interdisent de prendre des mesures protectionnistes. Il est impossible de s’opposer à des traités internationaux comme le CETA et le TAFTA.

4.- La pêche, sujet crucial pour la France qui possède un immense domaine maritime. La priver de la maîtrise de ce domaine est catastrophique pour cette industrie.

5.- La politique monétaire qui conditionne la vie de la nation. L’Euro que le FN-RN ne met plus en cause est source de crises et de souffrances. Une monnaie unique nécessite des économies nationales assez proches pour que le travail, la capital et la main-d’œuvre circulent « librement », pour qu’il existe un budget central suffisamment élevé pour compenser les différences économiques entre les pays… Une monnaie unique interdit ensuite l’équilibre du commerce international puisqu’il est interdit (et impossible) de dévaluer. Elle oblige enfin à la déflation salariale, c’est-à-dire la pression sur les salaires et l’emploi, la protection sociale, les services et les budgets publics puisque c’est la seule voie qui reste pour maintenir la « compétitivité ». L’impossibilité de la dévaluation externe provoque la dévaluation interne qui s’appelle la déflation.

En refusant désormais de sortir de l’euro et de l’Union européenne, le FN-RN se prive de la possibilité de résoudre la question des salaires, de l’emploi, des retraites et de la protection sociale, des services et budgets publics.

C’est là encore par pur opportunisme que s’opère ce tournant sur la question de l’Euro. L’argument repose sur « les indicateurs d’opinion » qui montrent que « les français sont opposés à la sortie de l’Euro ». On voit donc ce qui fonde la politique du RN-FN, ce que vaut la force de ses convictions. Ce n’est pas l’objet ici, mais nous reviendrons sur la sortie de l’Euro comme monnaie unique, le rétablissement de monnaies nationales, et la reconnaissance d’une monnaie commune…

Rallié à l’UE et l’euro, le RN-FN est avec une partie de LR l’aile droite du macronisme, comme le PS en constitue l’aile gauche. Ni souverainiste, ni populiste, le RN-FN est un parti de la « droite » qui officiellement rejoint le système qu’il prétend vouloir combattre. Voila pourquoi toute tentative d’assimilation des Gilets jaunes au RN est à la fois grossière, trompeuse et surtout absurde sur le fond. Sur les questions clés, les Gilets jaunes ne sont représentés en rien par le FN-RN. Il s’agit là d’un leurre qui permettrait, s’il était pris pour une réalité, de discréditer le mouvement social qui continue à tenir bon contre vents politiciens et marées médiatiques.