Accueil > Actualité > Savants et politiques

Savants et politiques

mardi 24 mars 2020, par Michel PAROLINI

Pour faire suite aux réflexions de Jean-François COLLIN

L’académie peut se tromper, parce que c’est très difficile […] Vous savez, on se trompe […] Vous savez la grande vérité sur l’amiante, dix ans avant, tout le monde prenait de l’amiante […] La médecine, c’est difficile, la vérité c’est compliqué, et l’amiante, on a fermé notre gueule. On fait des erreurs dans la vie. Le Maréchal Pétain il a foutu la France en l’air, il avait quand même gagné Verdun. Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous dise, c’est difficile, la vie.

Réponse de Charles Pilet, ancien Président de l’Académie de médecine, à Jean Druon, à propos de l’avis favorable émis par l’Académie concernant l’utilisation industrielle de l’amiante. In Alerte à Babylone, de Jean Druon, 2005.

Dans la situation présente, il est clair que la science n’est qu’un élément de justification a posteriori de décisions, et souvent de non-décisions politiques. C’est un argument d’autorité qui impressionne : scientia dixit. On a jeté des centaines de millions de masques pour faire de sordides économies de bout de chandelle ? On expliquera donc que la science dit que les masques ne sont pas nécessaires... Sont-ils superstitieux tous ces coréens et tous ces chinois qui se promènent dans la rue avec un masque de protection !
Jusqu’à la prochaine "vérité" "scientifique". On dira alors noir lundi ce qui était blanc dimanche. Dimanche : tout le monde aux urnes ! Lundi : tout le monde bouclé, et la flicaille au coin de la rue pour aligner les récalcitrants. Tel qui était un citoyen modèle dimanche s’est mué en délinquant lundi, en ayant le même comportement : scientia dixit !

Au demeurant, la médecine n’est pas une science, mais une pratique à visée thérapeutique qui s’appuie sur des connaissances scientifiques. Il y a eu une médecine avant la science. Il y a encore dans la médecine bien des pratiques qui ne se fondent sur aucune science. Est vrai, en l’occurrence, ce qui marche, ce qui est efficace pour aider à guérir. C’est une conception très humble de la vérité. Quant aux causes réelles ...
Les fameux experts, s’ils sont experts, sont aussi des hommes avec des ambitions, du pouvoir, des appétits de pouvoir et de reconnaissance. Ils sont pris dans des rapports sociaux, des passions, des rivalités. Ils peuvent être aveuglés. Ils peuvent même être franchement sots. Le monde est plein de crétins savants. La science ne préserve pas de la bêtise, hélas. Voir Flaubert. Un savant peut être très savant, et très naïf. En politique surtout. Un savant ne sait pas tout sur tout. Un savant est limité dans son savoir : et c’est cette limitation même qui fait le caractère scientifique de sa connaissance. Il en sait peu, mais il le sait bien. Et il sait ce qu’il ne sait pas, ou mal, ou pas encore.

Concernant le Covid-19, personne aujourd’hui ne sait encore grand chose. Les experts les plus chevronnés le reconnaissent. Ils connaissent les virus, ils connaissent les lois statistiques du développement des épidémies, ils connaissent beaucoup de choses. Mais sur ce virus, ils en savent peu. Ils travaillent, ils vont découvrir des choses. Il leur faut du temps, des moyens, de l’énergie, du talent, de la patience. Parfois de la chance.
Le politique est lui dans l’urgence de l’action. Son action peut être orientée par les experts. C’est même souhaitable. Mais il doit aussi faire des paris, savoir saisir l’occasion, être courageux, prendre des risques. Ou au contraire être prudent. Le politique doit être capable de virtù. L’expert scientifique ne lui est d’aucune utilité dans ces domaines.

Tout cela indique que la politique suppose une forme d’intelligence, différente de l’intelligence scientifique. Précisément celle qui manque à nos minables dirigeants, petits valets bas de plafond de Sa Majesté Le Capital. L’impéritie est visible dans tous les domaines et à tous les étages. Ces gens cherchent à cacher leur nullité derrière l’autorité des savants. Ils la révèlent encore davantage.

Messages

  • La question de l’équilibrage entre pouvoir politique de crise et pouvoir-savoir médical n’est pas anodine. S’il est normal que, dans la plupart des cas, une autorité politique ou simplement administrative suive l’avis d’une instance scientifique ou biomédicale, on a pu observer dans la crise actuelle un dérapage caractérisé du pouvoir-savoir médical, notamment dans l’affaire du recours en référé-liberté du syndicat Jeunes Médecins, demandant un confinement total au mépris de la vraisemblance et surtout du principe de proportionnalité en droit public. La réponse du Conseil d’Etat, dans une ordonnance de rejet délivrée par une formation de jugement exceptionnelle (3 au lieu d’1, dont le Président de la Section du contentieux), a été exemplaire, mais a fait l’objet d’une interprétation tordue dans les médias au service du système : pour escamoter l’échec du prestigieux corps médical (ce qui peut se comprendre au vu de ce qu’il vit, honneur à lui dans l’exercice de ses fonctions, mais pas en dehors), ils ont prétendu que le CE aurait demandé des mesures plus strictes au gouvernement... C’est faux, il a simplement demandé des précisions pour trois motifs de dérogation à l’interdiction des déplacements sur lesquels le premier décret de confinement était vaseux (cf. le site du CE), et le second décret a précisé les choses.

    D’où vient cette surenchère des "savants" qui prétendent dicter aux "politiques" leurs décisions, d’où vient qu’ils soient "en dehors des clous" en droit ? De la modélisation imbécile qui prévaut chez les "experts", et qui raisonnent non pas à la cuiller mais à la louche, puis non pas à la louche mais à la pelleteuse, alors que le respect du principe de proportionnalité des restrictions pour cause de crise sanitaire grave à la liberté d’aller et venir doit se faire dans le détail de la diversité des situations et de la pluralité des intérêts en jeu. Pas facile, c’est sûr.

    C’est la même modélisation imbécile qui sévit en matière de sécurité routière, avec la surenchère périodique à la diminution des vitesses autorisées, au mépris de la recherche et de la répression des causes réelles des accidents, qui ne peut être "la vitesse" en elle-même, en bonne logique. Remplacez "la vitesse" par "les exceptions nécessaires au confinement", et vous comprendrez peut-être. A la limite, on pourrait proposer qu’un maximum de gens se suicident, pour être confinés dans un cercueil et ainsi échapper à la contamination, tout comme on pourrait proposer le fait d’abandonner complètement la voiture, ou sinon une vitesse maximale de 30 km/h partout, et 50 km/h sur les autoroutes, allez, on n’est pas chiens...

    Pour reprendre la phraséologie de Michel Foucault, on est maintenant plus dans une logique qui est plus de "surveiller et punir" que de protéger. Il est navrant qu’une certaine composante du corps médical, si précieux et si héroïque à un niveau général, se commette dans cette dégénérescence sociopolitique liberticide.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.