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Résistances

Revue de presse 26 mars – 9 avril 2020

lundi 13 avril 2020, par Antoine BOURGE

En pleine pandémie, deux cosmonautes russes et un astronaute américain sont partis hier matin de Baïkonour, au Kazakhstan, pour une mission de six mois sur l’ISS. A l’instar cette mission, la classe politique est plus stratosphérique que jamais et plane à mille lieux du réel. Pourtant, certains citoyens n’attendent plus aujourd’hui l’intervention providentielle d’un État défaillant pour s’organiser. Qu’en sera-t-il demain ?

Réveillez-vous !
Avec l’aimable autorisation de Marc Milani.
Photo prise à la Réunion, mai 2016.

LA CHARITÉ DES PUISSANTS

Les riches doivent aider les plus pauvres

Cette obligation morale, que l’on retrouve dans le Nouveau Testament : « Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a point, et que celui qui a de quoi manger agisse de même. » (Luc, 3:11), devrait s’imposer à tous les fortunés s’il leur restait une once de morale. Dans Courrier International (n°1536), le constat suivant est fait :

« Une enquête réalisée à New York montre que les ghettos sont les quartiers les plus touchés par l’épidémie. Alors que les classes moyenne et supérieure peuvent faire du télétravail, les couches sociales inférieures comptent de nombreux travailleurs manuels qui risquent de ne plus avoir de quoi faire bouillir la marmite s’ils arrêtent leurs activités. Ils continuent donc à travailler malgré le danger. »

Et la solution indiquée par le journal Lianhe Zaobao (Singapour) est simple en son principe : « Dans cette situation, il est du devoir des plus riches – que ce soit à l’échelle nationale ou internationale – d’aider les plus faibles. »

Au-delà des exhortations à la charité, comment les patrons pourraient-ils aider leurs employés en temps de crise ? Une solution révolutionnaire trouvée par Xavier Fontanet dans Les Echos :

« Pour permettre aux entreprises de mieux amortir les chocs, il est une idée à laquelle le patronat et les syndicats devraient réfléchir : c’est celle d’un CDI à temps variable. Il s’agirait pour l’employé et son employeur de s’accorder sur une flexibilité du temps de travail hebdomadaire. Celui-ci pourrait varier d’un minimum de 4 × 7 heures, soit 28 heures par semaine, à un maximum disons de 5 × 9, soit 45 heures. (…) Il marque une évolution positive du capitalisme qui permet une participation renforcée à la prospérité de l’entreprise. » Alléluia !

Solidarité sauce gouvernementale...

Sur la chaîne Éducation France,on pourra apprécier la rhétorique du gouvernement, incarnée par G. Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse, sur la solidarité – mot dont il ignorait visiblement l’existence. La propagande est grossière, le vocabulaire simpliste (est-ce cela la pédagogie ?) – le gouvernement sous-entend donc que les professeurs ne sont pas assez solidaires ? Faut-il qu’ils aillent aider à la cueillette des fraises ? Encore un procédé de stigmatisation sordide, quand on connaît l’implication des enseignants dans le monde associatif, un bel univers non lucratif qui échappe à nos dirigeants. Les citoyens n’ont pas attendu G. Attal pour être solidaires.

Charité gouvernementale

Faute de masques et de respirateurs en nombre suffisant, la défiance envers le gouvernement enfle de jours en en jours. Malgré cela, le directeur régional de l’ARS de la région Grand Est, Christophe Lannelongue, qui ne faisait qu’appliquer les décisions politiques du gouvernement, a été limogé pour son zèle comme l’indique Français.rt.com, ce qui en dit long sur la crise au sommet du pouvoir :

« Quelques jours après avoir soulevé un tollé en estimant qu’il ne voyait « pas de raison » d’annuler le projet en cours de supprimer 598 postes et 174 lits au CHRU de Nancy, le directeur de l’ARS Grand Est a finalement été limogé par le gouvernement. »

Quel aimable sursis, surtout si l’on voit la décision appliquée une fois la crise passée...

Ces décisions non prises sont autant de morts dont le gouvernement est responsable

Alors que les laboratoires départementaux disposent des compétences et du matériel pour procéder à des tests Covid-19, le gouvernement ne leur permet pas de participer au dépistage. Ils assurent pourtant pouvoir faire 150 à 300 000 tests par semaine. Une décision criminelle de la part du gouvernement, comme on peut le lire sur Français.rt.com :

« Contactés par Le Point, plusieurs directeurs de laboratoires départementaux trouvent « incompréhensible » le silence gouvernemental. Et pour cause : ces laboratoires ont annoncé début mars disposer non seulement d’un personnel de pointe – disponible pour réaliser des tests à grande échelle – mais aussi de fournisseurs, capables de les équiper en réactifs qui manquent dans les CHU et laboratoires privés. »

Et plus loin :

« Alors que l’Allemagne, la Belgique ou l’Espagne mobilisent eux toutes les ressources disponibles, y compris les laboratoires vétérinaires. »

Enfin :

« Le 28 mars, le ministre de la Santé Olivier Véran annonçait que la France avait passé une commande pour 5 millions de tests rapides qui « permettront d’augmenter nos capacités de dépistage de l’ordre de 30 000 tests supplémentaires par jour au mois d’avril, 60 000 au mois de mai et plus de 100 000 par jour au mois de juin ». Pas de quoi rattraper le retard accumulé par rapport à l’Allemagne qui pratique plus de 500 000 dépistages du Covid-19 par semaine, depuis le début de la pandémie. Outre-Rhin, le confinement n’est d’ailleurs pas aussi strict qu’en France. »

LE COMBAT DES GENS DE RIEN

Quand les manifestations sont au mieux ignorées, au pire réprimées à coup de LDB, de gaz lacrymogènes et de matraques, quand les cahiers de doléances se volatilisent, quand les biens publics sont bradés et les services publics détruits, quand la perspective de l’insécurité sociale est l’horizon qui borne notre avenir, alors la nation doit se ressaisir de la gestion des affaires confisquée par les élites.

Le peuple des rond-points tient la France à bout de bras

Français.rt.com relaye l’analyse de Rachida Dati, parue dans le Journal du dimanche. La justesse des propos, venant d’un membre de la classe politique, est devenue chose rare :

« Cette France qui travaille tout en vivant dans des situations précaires : aides-soignantes, infirmières, ambulanciers, aides à domicile, femmes de ménage, caissières, livreurs ou encore personnel pénitentiaire », liste-t-elle. En d’autres termes, des profils sociologiques de Gilets jaunes : « Ce sont ces Français, ceux qui nous ont alertés il y a quelques mois sur les ronds-points, qui tiennent aujourd’hui le pays à bout de bras ! », poursuit-elle, soulignant qu’« il faudra en tirer les conséquences et agir, à la sortie de la crise, pour mieux valoriser leur utilité sociale et revaloriser leurs salaires ».

Le peuple des hospitaliers, qui est en première ligne, continue à lutter pour exiger plus de moyens pour faire face à la crise, en pleine période de confinement. La gravité de la situation, à Tourcoing comme ailleurs, mérite des prises de décisions, non des atermoiements. Comme on peut le lire sur Français.rt.com, ce sont des conditions dignes d’exercice de leur travail que réclament les manifestants :

« On manifeste parce qu’on n’a pas de matériel, on n’a pas de personnel, on n’a pas de masques, on n’a pas de blouses, on n’a rien, y en a marre ! »

Sur Français.rt.com, ce sont des propos similaires que tient cette soignante dans une vidéo adressée à E. Macron, qu’elle accuse d’irresponsabilité :

« J’accuse le président de la République de non-assistance aux soignants en danger de mort dans l’exercice de leurs fonctions. J’accuse le président de la République d’envoyer son armée blanche au combat, à mains nues, sans armes, c’est-à-dire sans masques FFP2 et autres protections indispensables pour se défendre et pour soigner. »

Et plus loin :

« Vous ne méritez pas votre peuple [...] ce peuple si fraternel lui, ces soignants qui alertent, qui crient, hurlent, pleurent ; vous restez sourd à nos appels, vous en êtes méprisant monsieur, vous nous avez trahis. A jamais le sang de ces hommes et ces femmes en blouses blanches restera indélébile sur vos mains criminelles », déclare-t-elle encore, tout en remerciant « la nation » : « Celle-là même qui nous applaudit tous les soirs et qui de ses mains d’or, réalise des masques, prépare des repas [...] et respecte le confinement. »

D’un point de vue médical, le confinement est absolument nécessaire en l’absence de masques mais il pourrait avoir une autre utilité, qui ne fait pas tellement les affaires du pouvoir : reprendre le temps du questionnement et résister comme chacun le peut. La lettre de cet ouvrier publiée sur le site de François Ruffin est éloquente :

« J’ai bien conscience que vous êtes assez éloignée du monde des chantiers, de la promiscuité que ces derniers engendrent, des efforts physiques qu’ils imposent, de l’habilité nécessaire à la réalisation des opérations, de la nécessité du travail de groupe, du danger généré par l’utilisation des outils (électroportatifs – engins – etc). J’ai bien conscience que vous êtes loin de notre quotidien. Mais que je le veuille ou non, quelle que soit l’ampleur de votre mépris envers nous, ces gens et moi-même vivons dans la même société que vous, et nous avons besoin de comprendre pourquoi nous devrions nous mettre en danger, nous-même mais aussi par extension nos familles, les personnels soignants, nos anciens, et finalement, l’ensemble de la population simplement parce que vous nous le demandez. Qui plus est de manière insultante. »

Peuple vilipendé par les valets du pouvoir

D’abord Français.rt.com, D. Cohn-Bendit qui ose insulter le Pr. Raoult, au moment où les services de réanimation sont débordés et auraient besoin que les patients soient traités aux premiers stades des symptômes par l’hydroxychloroquine pour désengorger les services. Mais bien sûr, sauver des milliers de vies semble secondaire à ce défenseur du macronisme.

Ensuite, le valet médiatique Y. Calvi, dont l’une des saillies contre les services publics a récemment été exhumée comme l’indique Français.rt.com :

« Des propos de l’animateur Yves Calvi, agacé par la « pleurniche permanente hospitalière » en mars dernier, ont suscité une polémique aujourd’hui alors que la survie de nombreux malades du Covid-19 dépend de la capacité d’accueil des hôpitaux. (…) « [Yves] Calvi, allez travailler sans moyen matériel ou humain, en ayant peur d’être infecté ou d’infecter vos patients et pari lancé vous ne pleurnicherez pas, vous pleurerez et ne resterez pas », s’est indignée la députée insoumise Caroline Fiat, elle-même aide-soignante ayant repris du service dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. »

Dénoncer

Le pouvoir est si déconnecté du réel que même face à la colère d’une majorité de la population, les réponses ne restent que de l’ordre de la communication alors qu’elles devraient être politiques. Macron a rencontré jeudi 9 avril les équipes de recherches contre le Covid-19 à l’hôpital Bicêtre. Les applaudissements filmés par l’Élysée ne lui étaient pas destinés mais saluaient l’infirmière qui l’avait interpellé sur la gestion de la crise. Cet épisode relaté dans Le Parisien le démontre :

« « Ce n’est surtout pas Macron que nous avons applaudi à son invitation. Cette collègue a pris la parole de manière viscérale pour parler des conditions de travail des soignants et des problèmes que nous rencontrons. Elle a dit au président que ça faisait longtemps qu’on l’interpellait, que nous étions en grève depuis des mois et qu’il n’avait jamais répondu présent. Qu’il était dommage qu’il faille des milliers de morts pour qu’il se préoccupe de la santé », raconte Isabelle Bernard, infirmière anesthésiste et secrétaire de la section CGT du CHU de Bicêtre. »

En pleine tempête, certains membres de la caste politique, qui voient les plaintes et poursuites judiciaires se multiplier, commencent à se dire qu’il vaut peut-être mieux dénoncer la gestion calamiteuse et se ranger de l’autre côté de la barricade. Ainsi, Patrick Karam, vice-président de l’Île-de-France, a préféré démissionner et engager une action en justice contre ARS et l’AP-HP. A lire sur Français.rt.com :

« Dans son communiqué, le désormais ex-vice-président de région accuse les deux instances sanitaires de ne pas remplir efficacement leurs missions. « La mise à disposition pour tous les Franciliens de masques, la mise en place de tests de détection en nombre suffisant afin de confiner les malades ignorant leur contagiosité, l’achat massif de respirateurs et la mise à disposition de tous les traitements possiblement curatifs », ne sont pas assurés, selon lui. Patrick Karam se dit « révolté » par les « multiples défaillances de l’Etat [et] de ses bras armés », dans la gestion de la crise du Covid-19. »

Organiser une manifestation en plein confinement ? Rien n’est impossible pour LFI, on se souvient des hologrammes de J-L. Mélenchon ! LFI a donc organisé une manifestation sur les réseaux sociaux afin de « proposer des solutions pour que plus jamais une crise comme celle du coronavirus ne se reproduise ». Les Insoumis ont été rejoints dans leur démarche par des personnalités de droite. Un aperçu de l’opération donné par Français.rt.com :

« Ce 4 avril à 18h, plus de 75 000 tweets avaient été mis en ligne avec le mot clef « #PlusJamaisCa ». Des chiffres dont se sont réjouis les responsables du parti, au premier rang desquels son chef. « Très beau succès de la manif en ligne #PlusJamaisCa : plus de 60 000 participations ! », a remarqué le député des Bouches-du-Rhône. » »

Comme l’indiquent très justement Chloé Morin et Marie Le Vern dans Marianne, la confiance dans l’exécutif et dans les institutions semble épuisé. Mais il l’était bien avant la gestion de la crise du COVID-19, car François Ruffin rappelait le 1er mars et appelait à une dissolution de l’Assemblée nationale :

« [Macron affirmait qu’il y a] divorce entre « pays légal » et « pays réel ». C’était un diagnostic assez juste : la majorité dans l’hémicycle n’est plus, et depuis longtemps, une majorité dans la nation. Ses élus sont décriés, leur légitimité s’est amenuisée, voire a disparu. Et malgré cette fragilité, malgré leur faiblesse, ils veulent imposer une réforme de cette ampleur ? C’est un fossé, désormais, qui s’est creusé avec les Français, un gouffre entre « représentants » et « représentés ». Comment répondre à cette crise ? De symboliques motions ne suffisent pas. Il nous faut exiger, dans l’immédiat, une dissolution de l’Assemblée nationale. Pour que le « pays réel » se dote d’un « pays légal » davantage à son image, que les électeurs se reconnaissent dans leurs élus, même imparfaitement. Sans cette réponse, c’est la démocratie qu’on abîme, qu’on rend détestable, parce qu’on la confond avec son simulacre. » .

La colère va-t-elle se muer en organisation d’un nouveau type pour décider du monde de demain ? (dans Marianne] :

« (…) [l’]apathie démocratique qui se manifeste avant tout par des taux d’abstention et une désaffiliation partisane dont nous avons longtemps cru pouvoir ignorer les conséquences concrètes. Conséquences sur ce que ces symptômes disaient de la force de nos institutions : le Parlement et le pouvoir exécutifs ne sont aujourd’hui, face à l’épreuve, forts que de la confiance que chacun d’entre nous consentons à leur accorder. Bien faibles, donc, et on le constate chaque jour au nombre de personnes contournant les règles du confinement, ou manifestant leur colère sur les réseaux sociaux. »

Et plus loin :

« (…) tous les indicateurs de confiance citoyenne en la capacité de ce gouvernement à faire face à cette crise sont au plus bas, et ne cessent de chuter au grès des interrogations et des polémiques nouvelles. Nous sommes en train d’épuiser un capital de confiance que nous ne savons plus comment régénérer, et la question qui se pose à nous est la suivante : jusqu’où la chute, et donc la désagrégation, peut-elle aller ? Et quelles en seraient les conséquences concrètes ? »

On peut continuer à penser tout en restant confiné. C’est ce que fait Sophia Chikirou dans L’internationale média où elle signale le tournant totalitaire du pouvoir :

« Le constat est indiscutable mais vous trouverez toujours quelques fanatiques du libéralisme et la main invisible du marché pour nier l’évidence. Il faut dire qu’ils sont responsables et qu’ils n’acceptent pas de rendre des comptes, pas plus qu’ils n’acceptent de partir, de s’excuser, de corriger. Nous avons à faire à des dogmatiques, aussi irrationnels que l’étaient les bureaucrates de l’Union soviétique ou de la Chine maoïste. Ce sont les mêmes mécaniques totalitaires qui l’emportent : en dehors de leur cadre, rien ne peut exister. »

Auto-organisation et système D

Sur son blog dans Mediapart, Alain Bertho met en exergue toute la créativité et les capacités propres des Français à trouver des solutions à la place d’un État défaillant :

« Le bricolage virtuose des soignants dans l’urgence et la pénurie, les initiatives multiples de production artisanale de masques, l’organisation des solidarités les plus diverses, la redistribution en ligne via WhatsApp, Zoom ou Skype des lieux de sociabilité, d’activité physique collective comme la gym ou le yoga, de jeux de société familiaux montrent l’inventivité foisonnante aujourd’hui à l’œuvre. Une société n’a pas besoin de discours martiaux pour auto organiser sa résilience, comme elle n’a pas besoin de décisions technocratiques pour organiser sa sécurité sanitaire. »

En France, la gestion de la pénurie est moindre qu’elle aurait pu l’être, notamment grâce aux soignants étrangers, HuffingtonPost s’en fait l’écho :

« Ces médecins qui n’ont pas de diplômes français. Et beaucoup sont engagés dans un parcours du combattant fait d’humiliations et de salaires honteux avant de pouvoir atteindre le Graal de l’inscription au conseil de l’ordre des médecins. Ces médecins docteurs en médecine dans leur pays doivent souvent faire plusieurs années en tant que stagiaires associés (faisant fonction d’internes) puis trois ans de praticien associé (après avoir passé un concours difficile) avec des salaires honteux. On leur demande aussi de refaire des stages sans rapport avec leur spécialité mais qui vont permettre de les garder dans le système encore plus longtemps.

Sans ces médecins, la crise serait encore plus grave. Certains ont bravé les frontières, le confinement de leur propre pays, la séparation avec leur famille, les trajets difficiles pour être à leur poste pendant cette crise. »

Tout le monde se rappellera des patrons pour fabriquer des masques de fortune dont la confection est détaillée dans de plusieurs vidéos disponibles sur internet. Marianne souligne que les Français ont pris plus de précautions sanitaires que l’État n’en a préconisé jusqu’à maintenant :

« Il y avait déjà bien longtemps qu’une bonne partie des Français se couvraient le visage lors de leurs sorties autorisées, bien conscients à la longue que la communication gouvernementale ne servait qu’à habiller la pénurie, et surtout l’impuissance de l’exécutif à reconstituer rapidement les stocks évanouis sous le quinquennat précédent. « La vérité, c’est que s’ils disaient qu’il faut rendre les masques obligatoires pour tout le monde, ils passeraient pour des cons, donc ils ne le disent pas clairement », soupire un ancien ministre de premier plan, désolé devant tant d’incurie. »

Peut-être faudrait-il revenir à cette aspiration fondamentale que proclamait l’Association Internationale des Travailleurs lors du congrès de Genève en 1866 :

« Que l’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ; que la lutte pour l’émancipation de la classe ouvrière n’est pas une lutte pour des privilèges et des monopoles de classe, mais pour l’établissement de droits et de devoirs égaux, et pour l’abolition de toute domination de classe. »

C’est possible en Argentine, pourquoi pas en France ? Révolution Permanente nous fait part de cette expérience d’une usine sous contrôle ouvrier pour produire massivement masques et blouses :

Pendant que les patrons licencient, suspendent et baissent les salaires, les ouvrières du textile de la coopérative Traful Newen, en Patagonie argentine, reconvertissent leur production pour fabriquer des masques et créent de nouveaux emplois. Un exemple à suivre en France et dans le monde entier, qui montre que ce sont les travailleurs (et non l’Etat et le patronat) qui ont les solutions pour en finir avec la crise sanitaire et économique.

Des idées pour changer la donne

1 – Un État social fort

L’Humanité se fait le relais des propositions des députés communistes pour faire face à l’épidémie et préparer des jours meilleurs :

« André Chassaigne défend des nationalisations afin de sauvegarder et développer la souveraineté sanitaire du pays. Luxfer, qui fabrique des bouteilles d’oxygène, et Famar, qui produit 12 médicaments d’intérêt majeur, sont citées alors qu’elles sont sur le point de disparaître. (…) Nous sommes pour un État fort, un État stratège qui protège les citoyens et les biens communs de la loi du marché », argumente Sébastien Jumel. »

Et plus loin :

« Et parce qu’ils voient plus loin que la situation hexagonale, les députés PCF appellent enfin au développement d’une couverture de santé mondiale et universelle avec l’ONU et l’OMS, à l’augmentation de l’aide au développement, l’annulation de la dette des pays les plus fragiles, en plus d’un cessez-le-feu international et de la levée des embargos économiques. »

2 – Justice fiscale

On trouve sur le site d’ATTAC un constat et cinq points qui permettraient plus de justice fiscale :

« Face à l’urgence sanitaire liée à la pandémie de coronavirus, l’État et les services publics ont un rôle décisif à jouer. La semaine dernière, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, a lancé un « un grand appel à la solidarité nationale » et annoncé sa volonté de créer une « plateforme de dons » en ligne, tout en assurant que « la sortie de la crise ne passera pas par une augmentation de la fiscalité ». Loin d’avoir tiré les leçons de décennies d’affaiblissement des services publics et de réformes fiscales favorables aux plus riches et aux multinationales, voici un ministre qui en appelle à la charité pour pallier les défaillances de l’État. »

Les cinq points pour plus de justice fiscale : « renforcer la progressivité de l’impôt, taxer les entreprises selon leurs capacités, lutter contre l’évasion fiscale, supprimer les niches fiscales inutiles, taxer les transactions financières ». Ce serait certainement un bon début.

3 – Repenser le pouvoir local

Sur Le Comptoir , on trouve une analyse assez juste d’Aurélien Bernier sur le « localisme heureux » dont on devrait autant se méfier que de la « mondialisation heureuse » :

« Je suis convaincu qu’il faut penser simultanément la réforme des institutions nationales et locales et que l’objectif premier doit être d’instaurer une véritable démocratie, de rendre le pouvoir au peuple. Cela signifie que nous devons mettre en place de nouveaux mécanismes de décision, et des propositions comme le RIC ou le renforcement du référendum classique me paraissent très bonnes. À condition toutefois de pouvoir traiter de tous les sujets, y compris (et surtout) des grandes questions économiques et sociales, ce qui suppose de refuser la soumission à l’ordre juridique européen ou aux règles du libre-échange.

Mais avant la décision, il y a le temps de la délibération. Si nous laissons les grands médias et les partis dominants organiser la délibération, le RIC ou d’autres processus de décision en apparence démocratiques risquent de ne mener nulle part. C’est là que le “local” peut avoir un rôle majeur : il peut être la cellule de base de la délibération, qui peut ensuite remonter au niveau national par agrégation. Et que l’on ne se trompe pas : il ne s’agit pas, comme avec la “démocratie participative”, de dissoudre les intérêts de classe dans une prétendue “proximité” qui mènerait droit au consensus ; il s’agit au contraire de redonner un pouvoir de délibération et de décision aux classes populaires qui en ont été très largement privées. »

4 – L’indépendance plutôt qu’un mauvais État fort

C’est le point de vue de Natacha Polony dans Marianne :

« Un esprit mal tourné y verrait un des travers de ce qui fit la force même de la France. D’abord la qualité de sa médecine, qui induit chez certains le mépris pour tout ce qui n’est pas validé par la science et la technique, pour le simple bon sens, justement. Mais également cet État fort dont nous n’avons gardé que les défauts en abandonnant sa capacité régulatrice. Il est à craindre que cette verticalité bien française n’ait habitué certains à se défaire de ce qui nous constitue en tant que citoyens : l’autonomie. En l’occurrence, du simple individu au plus haut technocrate de l’administration de santé, il semble évident à tous qu’il faut attendre de l’État la distribution de masques qu’il n’a visiblement pas. »

Et plus loin :

« La destruction de l’autonomie individuelle semble le projet le plus abouti de notre modernité. Elle est le résultat conjugué de la prise en main de nos vies par une administration pétrie d’idéologie technicienne et de l’emprise absolue de la consommation qui nous incite à préférer les produits fournis pas l’industrie à ceux que nous pouvons créer par nous-mêmes. Mais cette destruction de l’autonomie individuelle va de pair avec la destruction de l’indépendance nationale (…). »

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Comme le notait François Ruffin, que fera-t-on de cette crise ? Un sursaut civique de résistance doit balayer ce pouvoir illégitime, et ce à la voix active :

« C’est dans l’obscurité de la nuit nazie, dans la pire déchéance de la France, que Maurice et les siens ont rédigé « Les Jours heureux ». C’est une crise frumentaire, des disettes dramatiques, le trésor du Royaume à sec, qui ont accouché des cahiers de doléances, puis de la Grande Révolution, d’une secousse d’espérance qui a bouleversé l’Europe et qui continue de nous habiter. C’est la crise de 1929 qui nous a apporté les quarante heures et les congés payés…

Mais la voix passive, « nous a apporté », n’est pas indiquée. Ce sont les Hommes qui font l’histoire. Ce sont les syndicalistes, les militants d’alors, qui ont permis le Front populaire. Cette même crise qui a débouché, en Allemagne, sur le national-socialisme, aux États-Unis sur le New-Deal. »

Antoine Bourge

Le 12 avril 2020