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Remplacer le capitalisme mondialisé néo-libéral par … ?

Revue de presse 23 avril – 30 avril 2020

lundi 4 mai 2020, par Antoine BOURGE

Le souffle du coronavirus a balayé comme un château de cartes les certitudes des chantres de la « concurrence libre et non faussée » ainsi que le modèle de l’entreprise « multinationale ». Quels sont les ressorts de l’indépendance économique que promet Macron sinon un « nouveau capitalisme » (B. Le Maire) ? L’indépendance, l’autonomie, le protectionnisme, la relocalisation sont autant de pistes pour la reconquête de notre souveraineté en tant que nation productrice plutôt que dépendante.

IL N’Y A PAS D’ALTERNATIVE A LA MONDIALISATION

Libre-échange, mon amour

 L’UE, en pleine débâcle, est incapable de répondre à la crise du COVID-19 mais un accord de libre-échange a été signé entre la Commission européenne et le Mexique, comme l’indique Le Figaro :

« Phil Hogan, s’est félicité d’une décision en faveur d’« un commerce ouvert et équitable » avec ce pays de 126 millions d’habitants. « Nous aurons encore plus besoin de cette ouverture, de ces partenariats et de cette coopération pour reconstruire nos économies après la pandémie. » Concrètement, Commission européenne et Mexique se sont accordés sur l’ouverture réciproque des marchés publics et sur un niveau « élevé » de transparence attendu dans les procédures d’appels d’offres. »

 Le gouvernement persiste dans sa politique honnie comme on l’apprend dans Marianne :

« Ce jeudi 23 avril, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, annonçait fièrement sur franceinfo que les entreprises liées de près ou de loin avec des paradis fiscaux ne bénéficieraient pas des aides de l’État pour se relancer après la pandémie de Covid-19. Une mesure supprimée de la loi adoptée... »

 Toutefois, le gouvernement n’a pas eu le choix de s’aligner sur les décisions des autres puissances mondiales pour protéger certains secteurs clés. Les Echos nous informent de cela :

« Certains y verront un regain de protectionnisme, d’autres, un sursaut de souveraineté. Dans beaucoup de pays, depuis l’irruption de la pandémie de coronavirus , les Etats ont érigé des barrières pour empêcher des investisseurs étrangers de prendre le contrôle d’entreprises stratégiques. La France ne fait plus exception. Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a annoncé ce mercredi qu’il avait décidé d’abaisser le seuil à 10 %, contre 25 % actuellement, du capital d’une entreprise stratégique cotée à partir duquel la prise de participation d’un investisseur non-européen sera contrôlée et soumise à une approbation de Bercy. (…) Cette mesure entrera en vigueur au second semestre de cette année et prendra fin le 31 décembre prochain, selon Bruno Le Maire. Pour défendre les entreprises qui travaillent à un vaccin contre le Covid-19, la biotechnologie sera incluse dans les secteurs stratégiques, dans un décret qui devrait paraître ce jeudi au « Journal officiel ». La liste des secteurs comprend aujourd’hui la défense, l’énergie, l’eau, l’espace, les télécoms, les transports, la santé publique, l’alimentation et les médias. »

La mondialisation solution pour lutter contre le coronavirus ?

 La question peut paraître saugrenue, mais certains la posent sur Slate. On ne comprend pas bien pourquoi le fait que la dépendance soit inéluctable pour l’extraction de substances actives interdirait, a priori, de relocaliser une partie de la production en France :

« (…) relocaliser la production des médicaments nécessaires dans les services de réanimation, sous prétexte qu’ils sont produits en Chine ou aux États-Unis, c’est oublier qu’ils sont synthétisés notamment à partir de curare, lui-même issu de lianes amazoniennes ou africaines. Multiplier les producteurs de ces médicaments, dans chaque État, ne résoudra nullement le problème des matières premières, et donc de la dépendance vis-à-vis de « l’étranger ». C’est remonter d’un cran la dépendance, et, si on pense cette dépendance comme un problème insurmontable, c’est remonter d’un cran la lutte pour la survie, mais rien de mieux. »

 Dans Le Monde, Julien Bouissou démontre malgré ses pirouettes la catastrophe à laquelle mène la mondialisation et l’inanité toute « gouvernance mondiale » ou de la coopération européenne :

« L’Allemagne a d’abord refusé – temporairement – de vendre des masques à son voisin italien. La République tchèque, puis d’autres pays, comme la France, ont commencé à réquisitionner du matériel médical sur leur sol. Simon Evenett, un ancien de la Banque mondiale, qui enseigne le commerce international et le développement à l’université de Saint-Gall, en Suisse, suit jour après jour, avec effarement, les restrictions mises en place. Il est inquiet : « Ce monde ne ressemble plus à celui dans lequel on croyait vivre et qui reposait sur la gouvernance mondiale. » (…) au 21 mars, cinquante-quatre gouvernements avaient imposé quarante-six restrictions aux exportations de matériel médical depuis le début de l’année. Bulgarie, France, Corée du Sud, Arabie saoudite, Inde… la liste s’allonge de jour en jour. »

On peut lire plus loin :

« Les restrictions aux exportations entraînent une hausse des prix, du fait d’une hausse de la demande conjuguée à une diminution de la concurrence internationale, et les industriels ne sont pas encouragés à augmenter leur capacité de production, puisqu’on leur interdit d’exporter. Elles compliquent aussi la fabrication d’appareils sophistiqués, puisque des pièces détachées ne peuvent plus être importées, ou difficilement. Or des milliards d’habitants – surtout dans les pays pauvres – dépendent de ces importations pour se protéger du virus. »

Faute de chercher des failles dans la coopération entre nations (notamment européennes : la Russie vient à la rescousse de l’Italie plutôt que l’Allemagne), dans l’absurde division internationale du travail (dont le seul but est la maximisation des profits) et donc dans la responsabilité du système économique capitaliste dans l’ampleur du désastre, il vaut mieux blâmer les mesures protectionnistes d’urgence :

« De la même manière que le protectionnisme a aggravé la grande dépression, ce nouveau protectionnisme pourrait aggraver la pandémie de Covid-19 », écrivent Henry Farrell et Abraham L. Newman dans un article récent de la revue Harvard Business Review. »

 Les « règles » de la mondialisation semblent supplantées par des mesures protectionnistes partout dans le monde, en particulier aux États-Unis (pourtant le fer de lance de la mondialisation) comme en témoigne cet article dans Le nouvel Economiste :

« “Si nous devons apprendre quelque chose de cette crise, c’est que plus jamais nous ne devrons dépendre du reste du monde pour nos médicaments essentiels et tout ce qui va avec”, a déclaré Peter Navarro, conseiller commercial à la Maison-Blanche, le 3 avril. Quelques jours plus tard, le président Donald Trump a pressé 3M, une multinationale américaine qui fabrique des masques médicaux, de les réserver en priorité aux États-Unis, au détriment d’autres pays. »

Une mondialisation pas si heureuse

 Henri Peña-Ruiz dans sa chronique parue dans Marianne s’inscrit contre l’idéologie de la mondialisation dont les conséquences sont profondes :

« Aujourd’hui (...) c’est l’outil de production qui est détruit avec une brutalité sans scrupule. On le voit après la décision d’Honeywell prise en 2018 de délocaliser en Tunisie l’usine bretonne de Plaintel, capable de fabriquer 220 millions de masques sanitaires par an. Les 38 derniers salariés de l’usine sont alors licenciés « pour raisons économiques » alors qu’Honeywell a bénéficié largement de fonds publics et que la production des masques était jugée rentable par l’Inspection du travail. Celle-ci est désavouée par le Ministère du travail en juillet 2018. M. Macron et M. Le Maire, pourtant alertés en temps et en heure, ont laissé faire. (…) En lieu et place de l’internationalisme il y a désormais le mondialisme du marché coextensif à la planète entière, où se meuvent les chiffres à deux pattes, prêts à tout pour faire que le coût du travail tende vers zéro. (…) Le monde capitaliste, dérégulé, s’est moqué des États et de leur frontières. Il les a agenouillés devant le Dieu marché. Le paracétamol et les masques sanitaires, devenus marchandises comme toutes les autres, sont produits n’importe où dans le monde, à mille milles de leur destination où ils sont acheminés par grandes bouffées de kérosène. »

 Un article paru dans Le Monde Diplomatique met le doigt sur des décisions de circonstance qui risquent de donner raison aux opposants du capitalisme mondialisé :

« Même ceux qui s’étaient fait une spécialité de disserter sur les bienfaits de la mondialisation pour défendre les accords de libre-échange admettent désormais que les choses sont sans doute allées trop loin et qu’un modèle de production plus local offrirait bien des avantages. On ne compte plus les articles opérant un tel retournement dans les colonnes de The Economist ou du Financial Times, les missels des évangélistes du marché. (…) Signe que quelque chose a changé, les ministres du commerce des pays du G20 ont publié le 30 mars une déclaration expliquant que les mesures nécessaires à la lutte contre la pandémie pouvaient être considérées comme des exceptions légitimes aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Qu’autant de dispositions violent le carcan de l’institution souligne finalement la façon dont cette dernière empêche les pouvoirs publics de répondre aux besoins de leurs populations. »

RETROUVER SA SOUVERAINETE

Souveraineté et coopération entre nations : l’Internationalisme

 Il ne suffit pas de constater que le capitalisme mondialisé est déficient, il faut dessiner un nouveau type de coopération entre nations. Voici ce qu’en dit Henri Peña-Ruiz sur Marianne :

« Il est grand temps de dresser le bilan de la mondialisation comme de l’idéologie mondialiste qui en fait l’apologie. Et de reconsidérer en regard le mérite trop souvent oublié d’une internationalisme qui respecte les souverainetés des nations sans aliéner jamais ce qui les fonde : le pouvoir d’action de peuples qui selon la formule de Jean-Jacques Rousseau se donnent à eux-mêmes leurs propres lois. Ce pouvoir d’autodétermination, conquis par la Révolution Française, n’empêche nullement les nations de construire des rapports internationaux au bénéfice de tous. Il ne peut donc être confondu avec le nationalisme d’exclusion, qui dérive aujourd’hui en idéologie identitaire du chacun pour soi, mais aussi de l’opposition du « nous » et du « eux ». »

Le politique prend les décisions pour l’économie, pas l’inverse

 Sur le site Quartier Général, Thomas Porcher énonce des principes simples qui devraient guider la reconstruction d’un État souverain soucieux du bien être de la nation tout entière :

« Il faut revenir à un État stratège et social. Or la seule stratégie de nos dirigeants depuis plus de 30 ans est de faire en sorte d’une part de réduire la place de l’État dans l’économie en ouvrant la concurrence et en privatisant des entreprises publiques, et d’autre part de casser l’État social en réduisant la dépense publique et les protections des salariés. (...) Un État social est un État qui investit dans les services publics. Qui ne voudrait pas de transports performants, d’une place en crèche garantie pour chaque enfant, d’écoles et d’universités rénovés, d’hôpitaux à la pointe, d’investissements dans la culture, dans les équipements sportifs ou dans des programmes urbains de rénovation ? Tout cela a, certes, un coût financier mais une utilité concrète pour la grande majorité d’entre nous. »

 Dans Libération, une tribune permet de cerner les enjeux et les écueils à éviter pour changer d’économie. L’État ne doit plus devenir une solution de repli du capital mais dicter sa loi au capital :

« Demander à l’État de payer pour « sauver l’économie », c’est tomber dans un piège. Comme en 2008, l’État va soutenir les sociétés de capitaux engagées dans une course effrénée à la valorisation. Une fois celles-ci renflouées par l’argent public, les affaires reprendront de plus belle selon la logique capitaliste d’austérité pour les travailleurs, de casse des services publics et de fuite en avant dans une croissance indifférente aux besoins sociaux et écologiques. Les mesures décidées par Emmanuel Macron sont destinées à sauver les sociétés de capitaux. Il faut s’y opposer. Nous avons aujourd’hui une occasion unique de changer notre façon de vivre et de réorienter toute l’économie en fonction des impératifs de la transition écologique. Il faut sauver l’économie de la faillite du capitalisme, et non sauver l’économie capitaliste de la faillite. »

 Nationaliser sous contrôle démocratique les secteurs stratégiques, et renforcer la protection sociale permettraient de réorienter l’économie vers ce qu’elle devrait être, c’est-à-dire de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. L’Humanité défend cette position :

« La concurrence sociale et fiscale vise à attirer les capitaux : les investisseurs, dit-on dans ces milieux. Nous sommes loin des besoins de relocalisation, de la garantie du travail, de la préservation de la biodiversité et du climat, d’une Sécurité sociale élargie au travail et à la prise en charge des personnes âgées, et d’une sécurité alimentaire en qualité et quantité. Progresser en ce sens appelle à engager un processus d’appropriation sociale et démocratique de pans importants de l’économie et de la banque, des nationalisations d’un type nouveau, mais aussi à développer des coopératives autogérées soutenues par l’État et les collectivités. La question du pouvoir des travailleurs, de celles et ceux dont on célèbre les mérites et qui démontrent de quelles prouesses ils sont capables, se pose comme jamais. Que les « premiers de corvée » puissent gouverner est inséparable d’une ambition « post-capitaliste ». »

C’est encore à l’opposé de ce que le gouvernement Macron-Philippe manigance malgré ses discours creux :

« En refusant de légiférer sur l’interdiction de distribuer des dividendes et des aides publiques aux entreprises qui placent leur argent dans les paradis fiscaux, en refusant de débattre de la fiscalité du capital et des grandes fortunes, en considérant que la propriété du capital est un sujet tabou, et en refusant des pouvoirs nouveaux aux salariés dans les entreprises, c’est bien le passé qui demeure la référence du pouvoir et non « la rupture » vantée par le président de la République. »

Produire localement ou relocaliser

 L’exemple du Japon s’avère intéressant sur le plan de la relocalisation par une politique active pour inciter les entreprises japonaises délocalisées en Chine à revenir sur le territoire national. A lire dans Le Monde Diplomatique :

« (autre) source d’espoir : l’accélération d’une réévaluation généralisée — par les gouvernements, mais aussi par la population — des mythes entourant l’organisation économique du monde et du rôle alloué à la Chine en tant qu’atelier de la planète. Illustration de ce revirement : Tokyo vient d’annoncer un programme de 2 milliards de dollars (1,8 milliard d’euros) visant à aider ses multinationales à quitter la Chine (1). Avant la pandémie, de nombreux pays cherchaient un moyen de doper leurs capacités de recherche et de production de façon à contrer « Made in China 2025 », le plan mis au point par Pékin pour dominer les industries de l’avenir (intelligence artificielle, véhicules verts, aérospatiale, technologies médicales, etc.). »

 Dans Le Figaro, Gaël Giraud plaide pour un retour massif de l’État dans l’économie et l’annulation d’une partie de notre dette :

« La Corée du Sud, Taïwan et le Vietnam (dans une version non-démocratique) démontrent qu’un secteur public puissant étroitement articulé à un secteur industriel qui ne rêve pas de se délocaliser en Chine ou en Europe de l’Est sont les clefs du succès économique et sanitaire. »

Une liste non exhaustive d’éléments à mettre en œuvre pour réindustrialiser suit :

« Accélérer la rénovation thermique des bâtiments (publics et privés) et le passage à la voiture électrique pourrait créer beaucoup d’emplois non délocalisables sur tous nos territoires, réduit notre dépendance au pétrole et nos émissions de CO2 tout en améliorant notre balance commerciale. Passer à l’hydrogène dans les autres modes de transports (flottes, bus, camions, trains). Généraliser une agriculture écologique de proximité, plus gourmande en main d’œuvre, moins polluante et tout aussi productive que l’agro-industrie. Lancer un vrai programme public d’enseignement et de recherche autour de la révolution écologique, de la maternelle jusqu’au CNRS. Reconstruire notre Défense nationale : un chef d’État major a été limogé pour avoir osé déclarer que la réduction de son budget ne lui permettait plus d’assurer la protection des Français. Il ne faudrait pas faire, à propos de notre Défense, la même découverte qu’au sujet de notre système sanitaire. »

Souveraineté écologique, souveraineté alimentaire

 Sur Marianne, on peut lire ce billet plein de bon sens :

« Souveraineté et écologie ne sont pas des termes opposés. Certes, une certaine gauche défend une vision mondialisée de l’écologie, sans frontière, et donc paradoxalement en défaveur des territoires. La solution sera donc locale et décentralisée. Il sera nécessaire de redynamiser l’écologie très localement avec des systèmes de circuit-court entre les agriculteurs, les communes, les entreprises, les écoles, peut-être par l’établissement d’un chèque-proximité comme expliqué dans un texte précédent. Sans oublier le développement de l’agriculture biologique. En outre, cette souveraineté écologique devra passer par une indépendance alimentaire en rééquilibrant les produits importés notamment venant de pays ne respectant pas nos règles sociales et sanitaires. »

 Sur Reporterre, la question de l’autonomie alimentaire est posée dans ce très bon article de Lorène Lavocat :

« « Nous avons développé une agriculture beaucoup trop spécialisée, au nom de la théorie du libre-échange et des avantages comparatifs, rappelle l’agronome Marc Dufumier. Selon cette théorie, il faut faire chez soi ce pour quoi on a le plus d’avantages, et acheter le reste ailleurs. Mais la crise sanitaire nous révèle combien il est dangereux de dépendre de l’étranger pour les produits de première nécessité. C’est vrai pour les masques hospitaliers, c’est vrai aussi pour les produits alimentaires de base. » C’est ainsi que, depuis le début de la pandémie, on a vu se multiplier les appels à une relocalisation de l’alimentation. Signe de ce plébiscite, les circuits courts sont devenus « un véritable refuge pour les consommateurs », remarquait la Fédération nationale de l’agriculture biologique dans un communiqué. « Ce sera sûrement la plus grande leçon de cette crise, ajoutait la Fédération, les territoires qui ont les circuits de proximité les plus développés sont aussi les plus autonomes et agiles pour assurer la sécurité alimentaire de leur population. » Une fois n’est pas coutume, les défenseurs de la vente directe n’ont pas été les seuls à prôner la reterritorialisation de l’alimentation. Parmi les premiers à réagir, le président Macron a admis, le 12 mars dernier, que « déléguer notre agriculture était une folie ». »

 Plus loin on peut lire ceci sur l’autonomie alimentaire des principales villes françaises :

« (…) une étude du cabinet Utopies en 2017 : « En moyenne, le degré d’autonomie alimentaire des 100 premières aires urbaines françaises est de 2 % : dit autrement, 98 % du contenu des aliments consommés localement sont importés. Et la raison n’est aucunement une carence de production alimentaire, puisque dans le même temps, 97 % de l’agriculture locale des 100 premières aires urbaines finit dans des produits alimentaires consommés à l’extérieur du territoire. »

 Relocaliser oui, mais il faut que les coûts puissent correspondre au pouvoir d’achat de la population et ne deviennent pas une niche. Toujours sur Reporterre :

« Mais attention, le local n’est pas la solution à tout, avertit Nicolas Bricas : « Aujourd’hui, la crainte en France, c’est que des personnes ne puissent pas se nourrir, faute de revenus. » Le 18 avril, le préfet de Seine-Saint-Denis a ainsi averti la préfecture de la région Île-de-France de possibles « émeutes de la faim » dans son département, et s’est inquiété d’un « risque alimentaire » menaçant les habitants les plus pauvres de Seine-Saint-Denis. « Bien sûr que notre système agricole pose de gros problèmes, parce qu’il surexploite les travailleurs et détruit les écosystèmes et notre santé, poursuit Nicolas Bricas, mais la relocalisation ne les résoudra pas forcément. » La culture de fruits et légumes autour des villes à grand renfort de pesticides et de main d’œuvre précarisée peut aussi « être présentée comme une production locale », illustre-t-il. »

Le protectionnisme, un outil à double tranchant ?

 Sur Français.rt.comFrançais.rt.com, Eric Verhaeghe signale le coût important du protectionnisme et de la relocalisation de l’industrie en France bien que de telles mesures puissent avoir des effets positifs :

« Faut-il ici reprendre les chiffres bien connus de l’INSEE et de différents instituts, comme Rexecode, qui ont utilement montré que les multinationales françaises créent plus d’emplois à l’étranger qu’en France, à l’inverse des pratiques allemandes ? On comprend immédiatement que si toutes ces usines parties à l’étranger, ou construites hors de France, étaient rapatriées sur le sol national, bien des problèmes intérieurs (le chômage, la dépendance vis-à-vis de l’étranger) seraient résolus. »

Contrepartie du rapatriement des entreprises sur le sol national :

« Le choix de l’émigration (des délocalisations) repose sur des raisons objectives. Ces raisons sont bien connues : une préférence collective s’est exercée en faveur des prix bas, sur le low cost. Cette préférence est moins celle des producteurs que des consommateurs, parfois les ouvriers eux-mêmes des usines délocalisées, qui veulent acheter moins cher. (…) La première de ces difficultés est d’endosser une hausse des prix sur le marché national. En France, la production ne pourra se faire aux coûts roumains, chinois ou tunisiens. Les prix de vente s’en ressentiront. Or, personne n’a expliqué clairement aux Français que relocalisation était synonyme de perte de pouvoir d’achat. (…) Si l’on veut concurrencer les salariés chinois, il va falloir mettre beaucoup d’eau dans le vin de nos syndicats et de nos revendications salariales. »

N’est-il pas possible de produire moins et mieux sur le sol national tout en maintenant des salaires décents ? Le changement de logiciel n’est pas acquis...

 Sur Le Figaro, Gaël Giraud défend le protectionnisme contre ses détracteurs :

« Il est temps de relocaliser et de lancer une réindustrialisation verte de l’économie française. Cette crise doit devenir notre moment gaullien. Le protectionnisme, quant à lui, a engendré énormément de malentendus. Historiquement, il ne coïncide pas avec la guerre et le libre échange n’est nullement synonyme de paix : peu avant 1870, la France et la Prusse venaient de signer un traité de libre-échange. »

Plus loin, on ne peut qu’acquiescer au protectionnisme et à la relocalisation de la production devant un tel constat :

« La France devrait échapper au rationnement alimentaire mais nous devons tout de même tirer les leçons de notre fragilité : les chaînes d’approvisionnement internationales à flux tendus, sans stocks et sans redondance, nous rendent beaucoup trop vulnérables. »

 Sur Sputniknews, Jacques Sapir et Yves Perez s’intéressent aux outils positifs que peut fournir le protectionnisme, loin de la caricature du repli :

« La crise actuelle, issue d’une crise sanitaire, repose les questions fondamentales de l’arbitrage entre protectionnisme et libre-échange. Emmanuel Macron a défendu le 31 mars l’idée que la France puisse redevenir indépendante pour certaines productions. Très clairement, et même si une indépendance totale, autrement dit une capacité d’autarcie, n’est pas nécessairement souhaitable, le niveau de dépendance actuelle, issu du libre-échange et d’une doctrine économique « mondialiste », n’est plus tolérable. »

 Dans un article paru sur Challenges, David Goodheart, journaliste britannique, dresse un constat de bon sens sur des emplois non délocalisables qui devraient être valorisés dès maintenant :

« « Imaginez qu’en Grande-Bretagne nous n’avons plus une seule usine qui produit des vaccins ! Pour notre santé, nous comptons tous trop sur la Chine et l’Inde. » (...) Quelques jours de confinement ont suffi pour que la perspective change. « Nous avons réalisé combien les vendeuses qui remplissent les rayons des supermarchés, les chauffeurs de camions qui acheminent les médicaments, les livreurs qui approvisionnent nos aînés jouent un rôle crucial. Jusque-là, ces personnes étaient anonymes, nous les avions à peine remarquées. Maintenant nous ne pouvons plus nous passer d’elles. » Au Royaume-Uni, elles sont appelées « key workers » (travailleurs clés). »

 Et pourquoi pas un protectionnisme articulé à une dose d’internationalisme ? C’est ce que propose Thibault Isabel sur L’Inactuelle, même si cela semble utopique au niveau européen aujourd’hui :

« La seule arme des États est de recourir aux circuits courts et au protectionnisme. Non pas un protectionnisme nationaliste agressif visant à écraser les pays rivaux, comme le pratiquent allègrement les États-Unis et la Chine, mais un protectionnisme concerté avec d’éventuels alliés européens. Plus ce protectionnisme global trouvera de soutien chez nos partenaires, plus il sera efficace face aux assauts économiques extérieurs, permettant aussi des collaborations fructueuses pour de grands projets communs. Paradoxalement, cette politique pourrait même donner un nouveau souffle à une certaine idée de l’Europe, en marge des institutions en place. »

Sortir de l’UE pour retrouver le contrôle des cordons de la bourse

 Dans une entrevue accordée au site Le vent se lève, Emmanuel Todd souligne la nécessité de sortir du carcan de la monnaie unique pour reprendre les rênes de nos décisions nationales autour d’une morale commune ou d’une communauté de destins :

« (…) une fois que les gens auront compris qu’ils n’auront pas de retraites, à mon avis l’amour de la patrie va leur revenir très vite. Si on reste dans l’euro, pas de retraite, si on n’aime pas son pays, pas de retraite : ça va parler aux gens. Au-delà d’un sentiment diffus mais profond d’amour de son pays, nous devons définir un nouveau type de morale collective. Les mots qui me viennent à l’esprit, ce sont fraternité et sobriété. Bien entendu, il s’agit de sobriété économique car je serais très heureux que les jeunes continuent de faire l’amour. »

 En matière alimentaire l’UE ne nous permet pas de prendre des décisions souveraines, comme le souligne Reporterre :

« (…) rien ne sera non plus possible sans changement aux niveaux national et européen, prévient Aurélie Trouvé : « Sans remise en cause des accords de libre-échange, du droit de la concurrence européen qui empêche par exemple les collectivités de passer des marchés publics avec une préférence locale clairement marquée, de la Politique agricole commune, dont les milliards d’euros annuels pourraient appuyer bien davantage la reconversion sociale et écologique de l’agriculture, la relocalisation agroécologique ne pourra pas se faire ». »

Prendre conscience de notre pouvoir souverain

 Pour reconquérir cette souveraineté, il faut construire des armes politiques contre les élites hors-sol. Sacha Mokritzky revient sur l’élan donné dans ce domaine par les « Gilets Jaunes » dans Quartier Général :

« Les Gilets jaunes nous l’ont montré, déjà, et c’est cet élan propulsif qu’il nous faut saisir et prolonger. Collectivement, ils ont refusé que l’on pense à leur place. En se réappropriant les cadres intellectuels de réflexion, en produisant un récit du réel souvent bien plus juste que les élites sanctuarisées qui ne savent rien du monde, ils ont créé un contre-pouvoir au règne absolu de la désintellectualisation. Le droit de savoir est la première source de la liberté collective. »

Antoine Bourge

Le 1er mai 2020