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Lubrizol : De qui se moque-t-on ?

mardi 23 juin 2020, par Jean-Louis ERNIS

Huit mois après l’accident industriel de l’usine chimique Lubrizol de Rouen, le Sénat a rendu public un rapport pour tenter d’éclaircir les causes de cette catastrophe et de prévoir les incidences sanitaires possibles.
Il n’est pas certain que la rigueur intellectuelle fut au rendez-vous pour établir ce rapport.
Faut-il rappeler que la majorité sénatoriale est en forte délicatesse avec la majorité présidentielle ?
Ne soyons pas naïfs, depuis mai 2017, « Les Républicains » sont en campagne pour la présidentielle de 2022 et la gestion de Macron et de sa majorité leur donne de grands espoirs.
Par ailleurs, le Président de la commission d’enquête sénatoriale n’est autre que le Sénateur Maurey - centriste - qui risque de se retrouver en septembre prochain en compétition face au ministre macroniste Sébastien Lecornu pour le renouvellement partiel du Sénat.
Autant dire que, dans l’Eure, sous le manteau, la bataille fait rage, à tel point que pendant tout le mois de janvier dernier, Maurey a profité des vœux pour distribuer les médailles du Sénat aux maires qui ne demandaient pas le renouvellement de leur mandat !
Ainsi, pour Lubrizol, à la publication du rapport sénatorial, le sénateur Maurey a eu l’honneur de la presse régionale et locale, y compris avec une rubrique Questions/Réponses.
Curieusement (enfin, pour les naïfs) le sénateur eurois n’a traité que la période curative décochant ses flèches et parfois utilisant le bazooka uniquement à l’endroit des ministres actuels. Non pas qu’ils soient exempts de critiques, mais traiter cette affaire sous le seul angle d’un défaut de communication des autorités après l’incendie est plutôt léger.
Le contrôle permanent et régulier des installations pétrochimiques (classées SEVESO seuil haut) par l’Etat y est curieusement absent ! A-t-il eu lieu, ce n’est pas sûr !
Le rôle des instances de surveillance des salariés (CHSCT) est aussi « oublié » dans l’analyse du parlementaire !
Serait-ce parce que le sénateur, et l’idéologie qu’il représente, a toujours été de ceux qui considéraient et considèrent toujours « qu’il faut laisser l’entreprise respirer », qu’il faut supprimer « les normes tatillonnes » et que les représentants du personnel ont autre chose à faire dans l’entreprise « qu’à entraver la bonne marche de l’économie par le droit d’alerte » ?
Le sénateur Maurey (lobbyiste de profession) n’a-t-il pas soutenu, au printemps 2017, le candidat Fillon qui avait à son programme la suppression de 500.000 emplois publics ? Donc d’affaiblir encore l’Etat dans sa mission de protection des populations, entre autres.
  S’est-il élevé, avec la majorité sénatoriale, contre le programme Hollandiste « d’allègement des normes » ?
  S’est-il élevé, avec la majorité sénatoriale, contre les différentes lois affaiblissant le rôle des instances d’alerte comme les comités d’hygiène et de sécurité ?
  S’est-il élevé, avec la majorité sénatoriale, contre les différentes réformes qui ont affaibli les missions et les pouvoirs des Inspecteurs du Travail ?
Alors, dans ces conditions, comment s’étonner que la nature des produits en feu, près de 5000 tonnes quand même, soit inconnue des services de l’Etat, de la Préfecture notamment ?
Alors, comment s’étonner que les produits, très inflammables, soient stockés dans des soutes en plastique disposées les unes à côté des autres, sans protection automatique contre l’incendie ?
Comment accepter que les produits finis, en attente d’être livrés, soient stockés chez un sous-traitant dans des locaux contigus à l’usine productrice, permettant ainsi de diluer les responsabilités en cas d’accident, sinon par une complicité des pouvoirs publics ?
Rappelons que les compagnies d’assurances s’écharpent pour savoir qui est responsable, l’usine productrice ou le sous-traitant chargé de stocker ?
Des procédures de Justice sont en cours, nous aurons les jugements définitifs dans une dizaine d’années comme pour AZF, après les reports, les appels, la Cassation …
Mais, les populations concernées doivent se rassurer, le sénateur Maurey, Président de la commission d’enquête, a promis « … qu’il y ait un suivi épidémiologique … » sur les conséquences possibles de cette incendie toxique. Il plaide également pour l’installation « d’un registre de morbidité pour permettre de suivre un certain nombre de pathologies, à commencer par les cancers »
Voilà du concret !!! Il suffira de répertorier les décès dus au cancer et de se battre pour savoir si ce cancer est consécutif à l’incendie de Lubrizol ou d’une toute autre cause ! Et tout ceci dans 10, 15 ou 20 ans !
Les victimes de l’amiante connaissent cette situation. Un scandale de plus en perspective.
En attendant, le milliardaire Warren Buffet, 3ème fortune au monde, propriétaire de l’usine, continue son business pour ses propres intérêts et ceux de ses actionnaires qui n’ont que faire de cette catastrophe industrielle.
Il faut dire que Rouen et la Seine-Maritime paient un lourd tribu à cette politique néolibérale dont l’obsession est le strict respect des critères de Maastricht, dont les 3% maximum de déficit.
Même si l’affaire du Cuba Libre est d’une autre nature, elle a les mêmes origines, les carences du législateur en matière de protection des populations.
En août 2016, 14 jeunes gens perdaient la vie dans les sous-sols d’un bar rouennais, asphyxiés par un incendie accidentel.
Bien évidemment, les premiers responsables de ce drame sont les gérants de l’établissement, coupables de ne pas s’être assurés de l’efficacité de l’issue de secours, la Justice les a condamnés pour cela, mais les vrais coupables sont les politiques qui ont produit des lois, n’obligeant pas à demander l’autorisation d’ouverture d’un local commercial au public pour des salles de capacité inférieure à 200 places.
De ce fait, ces lieux ne font l’objet d’aucun contrôle régulier des commissions de sécurité !
Cette économie d’emplois publics a été fatale à 14 jeunes et a plongé autant de familles dans le deuil.
Espérons que la Seine-Maritime et la Normandie en général en ont fini avec ces drames.
Hélas, rien n’est moins sûr, car des menaces planent avec le nucléaire civil puisque trois sites de production d’électricité sont présents sur le territoire, Paluel, Penly et Flamanville dans la Manche.
En septembre dernier, l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) a mis sous surveillance renforcée les sites 1 et 2 de Flamanville. Récemment, début juin, l’ASN a constaté « Un recul de la rigueur en 2019 » sur le nucléaire en Normandie dont notamment un incident de niveau 2 à Penly.
Mais là également, soyons rassurés, le sénateur Maurey est dans les starting-blocks pour présider une commission d’enquête, mais seulement à postériori, si malheureusement un accident nucléaire devait subvenir !
Enfin, fatalement, Lubrizol s’est invitée dans la campagne des municipales. Certains n’ont pas hésité à pratiquer la démagogie.
« Il faut fermer cette usine » déclaraient certains.
Ah bon, et que fait-on des salariés, dont le nombre est inconnu du public, entre les CDI, les intérimaires, la sous-traitance … ?
« Il faut déplacer cette usine » déclaraient d’autres.
Ah bon, pour la mettre où ?
De Rouen à Le Havre, les bords de Seine sont un chapelet de sites industriels.
En rase campagne ?
De toute façon, le nuage toxique a été repéré jusqu’en Belgique, alors le lieu d’implantation est assez marginal.
Mais jamais les vraies questions n’ont été posées !
Ce que fabrique cette usine est-il nécessaire ?
Apparemment oui, puisqu’il s’agit d’additifs pour lubrifiants industriels.
C’est donc sur la sécurité au cours de la fabrication et sur les conditions de stockage qu’il faut impérativement agir. Des lois devraient être promulguées, imposant aux industriels des normes strictes et régulièrement contrôlées par des effectifs publics en suffisance.
C’est à cela que le sénateur Maurey et sa commission d’enquête auraient dû s’attacher. Mais pour cela il faut s’affranchir de la fumeuse concurrence « libre et non faussée » et là le sénateur pourrait bien avoir quelques démangeaisons à l’écoute de ces propositions !

Messages

  • Merci pour ce texte, qui souligne bien la responsabilité des responsables politiques successifs dans la survenue de cette catastrophe. Il faut cependant mentionner que le rapport sénatorial, le seul dont on parle, n’est qu’une pâle copie de celui rédigé sous la direction du député de la circonscription, autrement plus instructif. C’est d’autant plus paradoxal que ledit député est membre de LREM. Il n’a pas osé écrire dans son rapport que l’incendie a très probablement été provoqué par un court-circuit dans un vestiaire du voisin sous-traitant Normandie logistique, dont les salariés utilisateurs avaient plusieurs fois alerté leur direction de l’urgence des travaux à y réaliser... sans être entendus, comme de juste ! Et quand on lit qu’en moyenne, un des plusieurs dizaines de milliers de sites Seveso en France est inspecté tous les 40 ans à cause des suppressions de postes de contrôleur et que RIEN n’impose aux entreprises inspectées de suivre leurs directives, on ne peut que conclure que des sanctions pénales très sévères s’imposent contre ces irresponsables.

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