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Front populaire ?

mardi 7 juillet 2020, par Denis COLLIN

Le Front populaire a une histoire, presque toujours tragique. Il y eut deux fronts populaires en France et en Espagne dans les années 30. Les fronts populaires correspondaient à la stratégie proposée, après le triomphe du nazisme en Allemagne, par l’Internationale communiste sous l’impulsion du communiste bulgare Dimitrov. Le Front populaire a pour but de résister au fascisme en alliant les partis ouvriers (socialistes et communistes) et les partis bourgeois antifascistes. La stratégie du Front populaire fut sévèrement critiquée par les trotskistes qui lui reprochaient de mettre la classe ouvrière à la remorque des partis bourgeois, préparant ainsi la défaite de la classe ouvrière. Pour les trotskistes, seul le « front unique ouvrier » luttant contre le capitalisme pouvait vaincre le fascisme. De fait, les fronts populaires finirent mal. En France, la chambre du Front populaire finit par laisser tout le pouvoir aux radicaux de Herriot et Daladier, interdit le parti communiste et vota les pleins pouvoirs à Pétain. En Espagne, tout occupée à lutter contre les révolutionnaires du POUM et de la FAI, la coalition du Front populaire fut militairement défaite par les troupes franquistes soutenues par les nazis et les fascistes italiens. On peut aussi placer le CNR dans la lignée des Fronts populaires, mais cette fois un front populaire victorieux... avant sa dislocation sous la pression de la guerre froide. Au Chili, dans les années 70, c’est une autre variante du Front populaire dirigé par Salvador Allende qui était écrasée par le coup d’État militaire de Pinochet soutenu par les États-Unis. L’Union de la Gauche française lancée en 1973 par l’accord entre Marchais, Mitterrand et Fabre eut une fin moins tragique, mais après à peine deux ans de réformes sociales, le « tournant de la rigueur » mettait fin aux espoirs soulevés par la victoire de Mitterrand en 1981.

On peut penser ce que l’on veut de l’histoire des fronts populaires, mais l’expression « front populaire » est très clairement connotée historiquement. Elle fait appel à un imaginaire (en France, les 40 heures, les congés payés et l’ébauche de la sécurité sociale) qui est celui des exploités et fait partie intégrante de l’espérance révolutionnaire et de la tradition du mouvement ouvrier. L’opération médiatique Onfray-Simon qui lancent une revue et un site baptisés « Front populaire » n’a évidemment rien à voir avec le Front populaire, rien, absolument rien ! C’est une véritable escroquerie d’avoir choisi ce nom et on aurait dû commencer par dénoncer cette escroquerie. Onfray et Simon auraient pu baptiser leur aventure de presse « Souveraineté », « Défense de la nation », « unité nationale » ou tout autre terme de ce genre, comme « front national » (le front national était à la Libération une organisation satellite du PCF) ! Ces termes auraient clairement annoncé la couleur. Mais non ! « Front populaire », comme s’il s’agissait d’une organisation (alors qu’il s’agit simplement d’une entreprise de presse) et comme si cette entreprise se situait dans la tradition ouvrière — ce que ses initiateurs refusent avec la dernière énergie, eux qui pensent que le socialisme et le communisme sont encore pires que le fascisme.

Laissons de côté les positions politiques de M. Onfray ainsi que ses exploits antérieurs de faussaire et de calomniateur, propulsé par les médias officiels. Laissons aussi de côté les accusations ridicules du Monde, de Libé et autres journaux de la propagande officiels qui veulent faire croire que tous ceux qui participent à l’entreprise Onfray-Simon sont des fascistes. C’est à l’évidence faux et même Onfray qu’ils lynchent maintenant après l’avoir promu est tout sauf un fasciste. Mais politiquement, il serait temps de dissiper les confusions que cette opération — aux lendemains problématiques — a produites.

En ce qui nous concerne, la seule souveraineté possible est la souveraineté du peuple et cela s’appelle république. Et comme il n’y a pas de véritable république qui ne soit la république sociale, pour nous, la souveraineté est étroitement liée à la lutte contre la classe capitaliste, nationale et transnationale, c’est-à-dire à la lutte pour le socialisme. Nous sommes contre le « girondinisme » parce que nous sommes pour la république une et indivisible, et hostiles à tout ce qui conduit à « L’Europe des régions ». Nous sommes contre l’alliance capital-travail, parce que nous sommes opposés à toute forme de corporatisme qui soumet la classe ouvrière aux intérêts patronaux. Et si nous pensons que face au danger on peut s’allier avec le diable et même avec sa grand-mère, encore faut-il qu’il y ait lutte réelle, sur des objectifs précis — par exemple sortie de l’UE, de l’euro et de l’OTAN et non des palinodies et des exercices de virtuosités rhétoriques sans autre visée que de procurer un public à des stars vieillissantes. Entre le « girondin » Onfray et un Chevènement qui continue d’apporter son soutien à Macron, de quelle lutte parle-t-on ? Le prétendu « front populaire » n’est qu’un salon mondain où se précipitent des gens qui croient que caméras et micros se tournent souvent vers l’allumé du bocage (normand), ils pourront en profiter pour se faire connaître. Mais, même cet objectif minuscule est une illusion.

Faire la clarté dans les idées et lutter pour regrouper le peuple, nous continuons cette tâche.
Denis Collin — le 7 juillet 2020.

Messages

  • Il y aurait quelque mauvaise foi à attendre d’Onfray qu’il se révèle subitement communiste ou marxiste. Toutefois, il est significatif que renaissent des références au CNR ou au Front Populaire, quand bien même s’y tapiraient des arrière-pensées moins radicales. Le retour à ces références ne fait surtout que souligner le résultat de décennies de désert politique et intellectuel et de soumission idéologique de la part des directions d’organisations censées défendre les classes populaires. Des classes populaires qui, depuis longtemps, ne sont plus représentées par aucun parti ou courant de pensée suffisamment organisé pour peser dans le paysage politique. Si l’apparition de LFI pouvait laisser entrevoir l’espérance de la constitution d’un rassemblement transformateur, les palinodies et zigzag des (de la ?) têtes pensantes ont interdits la définition d’une ligne claire. Un "mouvement gazeux", s’il ne veut pas s’évaporer, nécessite au moins que le gaz soit défini en qualité et quantité. Alors que peut-il rester aux classes populaires pour espérer transformer si peu que ce soit notre société ? Elles n’ont pas d’autre choix que de tenter de réaliser un rassemblement en dehors des partis constitués et institutionnalisés. De plus en plus, même au sein des gilets jaunes, s’affirme la nécessité de reconquérir souverainetés populaire et nationale, indépendance, liberté et, un peu, de démocratie. Absolument nécessaire et, en effet, absolument insuffisant pour dessiner une future république sociale capable de défier l’immondialisation capitaliste. Mais quand les partis, organisations, groupes, courants —souvent marginaux— apparemment "souverainistes" plus radicaux (condamnant UE, Euro et OTAN) ne sont toujours pas près de s’entendre sur un programme et pour réaliser un rassemblement, on ne peut s’étonner que naissent plusieurs tentatives pour regrouper le besoin d’indépendance. On peut constater, déjà sur Internet, un nombre de blogs ou sites réclamant le retour de nos souverainetés : du PRCF à l’UPR, du PARDEM aux Socialistes libertaires, du Comité Valmy à La Sociale, plus quelques autres et 3 derniers en date à ma connaissance : CNNR, Front populaire (certes, un journal) et Les Constituants. L’aspiration à transformer existe mais l’outil n’est pas là qui permettrait un puissant mouvement transformateur. Sans doute, pour être forgé, cet outil devra-t-il s’appuyer sur certains gilets jaunes (des "Assemblées des assemblées" ont commencé à ébaucher un programme), sur les gilets rouges (en rupture avec leurs directions politiques ou syndicales). Quant aux "gauchistes" de NPA ou LO, il faudra qu’ils nous expliquent comment on peut se déclarer fervent démocrate et ignorer que toute forme de démocratie implique que soient définis un territoire et une population, c’est-à-dire ce qu’on appelle une nation ? S’ils sont parmi les très rares à condamner violemment le capitalisme, il conviendrait qu’ils remettent leur matérialisme à jour : ce n’est pas l’existence des nations qui produit les guerres, ce sont les faiseurs de guerre qui se servent des nationalismes ou, selon le cas, des religions ou du racisme.
    Méc-créant.
    (Blog : "Immondialisation : peuples en solde !" )

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