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Les maires dans le collimateur

vendredi 22 novembre 2019, par Jean-Louis ERNIS

Nous sommes à quatre mois des élections municipales qui se dérouleront les 15 et 22 mars prochains. Bien malin, aujourd’hui, celui qui peut en prédire les résultats. Entre les élus locaux et la population, l’ambiance se dégrade, mais pourquoi ? Je vous propose quelques réflexions sur les raisons de cette inquiétante situation.

Au début du mois d’août un drame s’est noué dans une commune du sud de la France. Un maire est décédé dans l’exercice de ses fonctions, écrasé accidentellement, selon la version officielle, par le véhicule d’un contrevenant utilisant un chemin public comme une décharge à gravats !!! C’est évidemment un épouvantable drame qui ne peut être que condamné. Mais les maires ne peuvent pas utiliser cet événement pour s’exonérer des raisons qui font que le peuple s’écarte des édiles locaux.

Que s’est-il passé pour que l’élu le plus estimé des citoyens, le maire, ait rejoint le camp du désamour, pour ne pas dire plus, exprimé à l’endroit des parlementaires, des ministres et même des Présidents de la République ? Les 20 ou 30 dernières années ont vu les missions des maires évoluer, consécutivement aux lois de décentralisation. La décentralisation pouvait avoir un intérêt à la condition que cela ne soit pas une manière pour l’Etat de se décharger des responsabilités qu’il assumait dans le passé. La prédominance du néolibéralisme pratiqué par tous les gouvernements aux affaires sous la 5ième République a placé les maires en première ligne. Cette politique appauvrissant une partie de plus en plus grande de la population, vidant la ruralité de son attractivité et faisant de la majorité des périphéries de villes des zones de non-droit, les maires sont devenus aux yeux des citoyens des responsables de cette décadence au même titre que les parlementaires et l’exécutif.

Au fil du temps, les maires ont fait le choix de privilégier leurs relations avec les parlementaires au détriment de leur proximité avec la population. La réserve parlementaire n’a pas été pour rien dans ce changement de pied ! Pour faire face à la pingrerie de l’Etat, obnubilé par les critères de convergence européiste, en matière de dotation aux collectivités locales, les édiles locaux ont vu un intérêt à solliciter la réserve parlementaire, d’où leur rapprochement, parfois équivoque, avec les députés et les sénateurs. Même si la « réserve parlementaire » n’existe plus, le mal est fait.

Avec la suppression de la taxe d’habitation, la situation risque de ne pas s’arranger. Le rendu de ce produit fiscal, soustrait aux collectivités locales, risque d’être transformé en bon à tirer auprès de l’Etat. Ce processus, s’il se mettait en place, placerait encore davantage le maire en position de vassal de l’Etat éloignant, par là même, l’édile des citoyens. Les populations pourraient être indulgentes si les maires avaient résisté à ces évolutions contraires aux principes d’une République égalitaire en droits. Au contraire, ils se sont précipités dans cette évolution, aspirant vraisemblablement à devenir les futurs seigneurs des nouvelles baronnies, les intercommunalités par exemple.Ledit « Grand débat » du 15 janvier dernier dans l’Eure a été révélateur de cette évolution de type monarchique, le prince, pas encore roi, exerçant un numéro de séduction pour s’attirer les grâces de la cour, les élus locaux.

Les premiers signes de craquements sont d’abord venus des conseils municipaux eux-mêmes, au cours du mandat qui s’achève. L’autoritarisme est devenu le trait de caractère dominant de nombreux maires. Ils parlent de la collectivité dont ils sont élus comme de leur bien propre. « Ma commune », « ma mairie », « mon conseil », « je décide » !!! En conseil municipal, la majorité des votes se fait à main levée, ainsi le maire et son proche entourage contrôle les faits et gestes de ceux qu’ils considèrent comme leurs obligés. C’est ainsi, qu’ici ou là, des conseillers et même des adjoints ne participent plus aux réunions et même démissionnent, parfois avec fracas médiatique.

Dans le domaine du seigneur régnant sur son fief, des maires se prennent pour St Louis rendant la justice sous un chêne. Plusieurs d’entre eux, dans des villes moyennes (10.000 à 30.000 habitants) ont signé des protocoles avec les Procureurs de la République pour « cueillir » des mineurs turbulents voire prédélinquants, afin de leur faire la morale, sous les dorures de leur bureau, et leur expliquer le bien et le mal !

Au-delà du rôle usurpé du maire devenu « maire père fouettard » cela implique la généralisation des polices municipales en lieu et place de la Police Nationale et de la Gendarmerie. De plus, c’est une confusion des rôles, exécutifs, police, justice, contraire à la séparation des pouvoirs chère à nos valeurs républicaines. En zone rurale, on voit se mettre en place par protocole entre les municipalités et les brigades de Gendarmeries, des pratiques appelées « Vigilance citoyenne » Pour palier à l’insuffisance des effectifs de Gendarmerie, il s’agit de transférer des opérations de surveillance, qualifiées softement de vigilance, à des citoyens volontaires. Sous couvert de responsabiliser les individus, on place ceux-ci dans l’antichambre de la délation, où la jalousie, la rancœur et autres bas sentiments peuvent trouver un terrain propice. Ainsi, le maire d’une commune traversée par une nationale à fort trafic a déclaré au moment de la signature du protocole avec la Gendarmerie « Ils (les habitants volontaires) pourront relever les numéros des plaques d’immatriculation de ceux qui roulent trop vite » Cela flirte dangereusement avec la délation.

Et puis il y a les maires qui ont une conception très étriquée de la démocratie. Ils considèrent qu’une fois élus (es), ils ont une totale liberté dans l’exercice de leur mandat. L’ancien maire PS de Bourgtheroulde, aujourd’hui député LREM de la 4ème circonscription de l’Eure, a récemment déclaré dans le quotidien Paris-Normandie « La politique est noble en ce que l’action qu’elle implique est celle de réfléchir, agir et décider pour une population. Qu’il s’agisse d’un mandat local ou national, nous sommes les dépositaires d’une confiance qui nous est accordée lors des élections » Pour cet ancien maire, devenu député, c’est : élisez-moi, je me charge du reste !

Concrètement, cette pratique a des effets forts contestables. De nombreux édiles ont sauté à pieds joints sur la partie de la loi NOTRe qui permet de créer des communes nouvelles par suppression des communes historiques. Au faux prétexte de réaliser des économies, les communes nouvelles donnent le coup de grâce à la politique de proximité et aux racines de notre République, les communes. Dans le département que je connais le mieux, l’Eure, depuis 2016, 128 communes historiques ont été rayées de la nomenclature des collectivités locales, remplacées par 37 communes nouvelles. Aucun des 128 conseils municipaux n’a considéré que la décision devait être soumise au préalable aux populations concernées, et pourtant aucun élu de ces exécutifs n’avait porté ces suppressions à son programme électoral de 2014.

Et la situation se corse quand on apprend que le sénateur centriste, Hervé Maurey, envisageait en janvier 2018 de déposer un amendement permettant aux exécutifs des communes nouvelles de rayer par un simple vote des conseils municipaux ce qui reste des communes déléguées. Une foule d’habitants attachés à leur histoire locale, à leurs racines, à leur terroir, sont frustrés. Nul ne sait quelle pourra être, à terme, leur réaction. Avec les « banlieues » la marmite rurale bout silencieusement, attention, le couvercle pourrait sauter.

Dans toutes ces déviances politiciennes de forme oligarchique, le rôle du citoyen se limite, désormais, à « élire ses maîtres » Ainsi, comment les maires peuvent-ils s’étonner d’être, eux aussi, les mal-aimés de la population ? Au final, le bilan relationnel entre les élus (es) de tout niveau et la population se dégrade dangereusement. Au mieux, c’est l’indifférence, au pire, le mépris de l’un vers l’autre.

Ce constat est inquiétant, car il menace les fondements de notre démocratie et entame notre capacité à vivre ensemble. Bien évidemment, les incivilités ne sont pas la solution et encore moins la violence, mais l’attitude condescendante de nombre d’élus à l’égard de la population conduit à ce climat délétère. Il faut respecter les élus, nous explique-t-on à longueur d’articles, soit, mais encore faut-il que les élus soient respectables dans la mission publique qui leur est confiée. Le secteur Ouest du département de l’Eure reflète malheureusement l’image d’un personnel politique qui a passé par-dessus bord la probité et la déontologie.

Je connais le Président d’une Intercommunalité de 58.000 habitants qui s’est livré à des actes délictueux de type « détournement de biens et fonds publics » par des fausses notes de frais au bénéfice de tiers ? Comment respecter cet élu qui a reconnu les faits publiquement en juin 2018 et qui n’est toujours pas jugé ? Comment respecter les élus communautaires qui lui font toujours confiance après deux reports d’audience incontestablement motivés par des artifices politico-judiciaires ?

Et ce n’est pas le projet de loi « Engagement et proximité » du Ministre Lecornu qui va solutionner le problème de méfiance réciproque. Au contraire. Le Ministre se croit encore à la tête du département à l’époque où il laissait entendre que les allocataires du RSA sont potentiellement des tricheurs. Avec son projet de loi qui se discute actuellement, il persiste dans la culpabilisation de la population. Il n’a rien compris des raisons qui ont conduit au décès du maire de Signes. Cet élu a malheureusement été victime d’une loi qui expose les maires qui ne sont ni des policiers, ni des juges. Or, le Ministre veut donner des pouvoirs supplémentaires aux maires, en faisant argument que les maires ont des pouvoirs de police depuis 1789.

C’est bien extravagant de voir un élu de droite faire référence à la Révolution française ! De passage dans l’Eure le 2 septembre dernier, le Ministre déclarait : « ils (les maires) pourraient ainsi établir des amendes administratives, prononcer des astreintes, ou encore imposer une mise en conformité ou des fermetures d’office » (Paris-Normandie du 3/09/2019) Hélas, il faut craindre que la situation s’aggrave. Des Sous-préfets se font les propagandistes du déménagement rural. Voici à peine deux ans, profitant de la réunion d’un syndicat à vocation scolaire, le fonctionnaire déclarait qu’une école de quatre classes n’était plus viable ! Récemment, son successeur enfonçait le clou précisant qu’une commune, sans école, devait disparaître !

Ainsi dérive notre démocratie, espérons qu’elle ne s’échouera pas sur des récifs mortifères. La seule solution : l’implication des citoyens.