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Et pendant ce temps-là, la Bourse, qui n’est qu’à deux pas, joue avec les milliards

lundi 30 août 2021, par Robert POLLARD

Il y a le COVID numéroté 4, il y a le chômage, il y a les restrictions aux regroupements donc une interdiction de manifester qui pourrait s’appliquer à tout moment , il a les multiples menaces qui planent au-dessus de nos têtes, à commencer par la loi sur les retraites, il y a une atmosphère de puanteur générale qui touche toutes les catégories de travailleurs et travailleuses depuis l’agriculture — dont on dit tant de bien par ailleurs — en passant par l’industrie — pour laquelle ils ont fait tant de promesses de relocalisations qui s’avèrent illusoires — les transports, l’énergie, tous ces amples mouvements vers le mieux le beau et le bon, seront malheureusement ralentis par… la crise.

Or, « La reprise offre au CAC 40 des profits record  » (Le Monde 6/08/2021) il y avait donc une reprise quelque part ? Nous ne le sentions pas vraiment il faut dire, nous manquons de sensibilité et nous prenons les mots au pied de la lettre. Or, ces mots là ont pourri sur pied, trahis depuis longtemps.

Insidieusement c’est par eux, les MOTS, que sont perfusés les poisons qui devraient envahir nos cerveaux « disponibles », à condition qu’ils soient dénaturés, empoisonnés eux-mêmes de contresens ou de non-sens. J’ai cet exemple sous les yeux dans Le Monde du 7 août : le dernier paragraphe de l’éditorial disant : « Ensuite, l’application même des mesures sanitaires n’a rien d’évident au regard d’une radicalisation d’une partie de l’opinion, même si la grande majorité des Français est favorable à l’instauration du passe sanitaire et que la mesure commence a être adoptée à l’étranger comme en Italie ou à New York, qui ne sont pas plus que la France des “dictatures sanitaires“ », le recours à l’étranger comme preuve, quand par surcroît New York reste une ville, gouvernée par un conseil municipal et un maire, certes puissants, mais qui n’en sont pas pour autant des chefs d’État, l’Italie dont on connaît la fragilité politique au niveau de l’État, autant de détournements de sens pour tenter de nous prouver que ce ne sont pas des « dictatures »…sanitaires bien entendu. Mais qu’y-a-t-il derrière ce mot de dictature qui envahit notre entendement jusqu’à presque effacer le “sanitaire“ de secours ? Une dilution du sens même de ce que pourrait être une dictature, non seulement la forme mais le fond est abrogé de sa véritable définition, historique et actuelle.

Partant du préconçu que la grande majorité des Français seraient favorables au pass, ou passe, sanitaire — j’adopterais l’expression laisser-passer qui veut bien dire ce qui est et qui n’a pas été retenu sans doute pour cette raison — d’où viennent ces statistiques rassurantes sur la volonté nationale ? Sur l’unité nationale ? Sur des pays voisins qui ne sont pas ce qu’ils pourraient être mais peuvent le devenir comme nous ? Sanitaire est le mot de passe pour dictature. Quand le sanitaire n’aura plus cours, resteront la structure et les fondations de la loi qui permettent de prendre des décisions sans le consentement de la majorité des Français réputés “favorables à… “.

Ce seront des lois d’exception comme le disent, pour une fois précisément, les mots. La Vème république est déjà dans sa totalité appuyée sur une constitution qui propose dans son article 16 la possibilité des pleins pouvoirs en situation exceptionnelle. De Gaulle l’avait employé, mais il n’alla pas plus loin après la chute du « quarteron de généraux en retraite ». Il ne semblait pas en avoir besoin. Le régime entier repose sur cette atmosphère de pouvoir “fort“ élu par le peuple. Un fumet de dictature comme le suggérait François Mitterrand, « Le coup d’État permanent », bien avant d’être élu. A cet endroit les paroles et les écrits se sont envolés et perdus dans les poussières des bons mots du cosmos politique.

Ainsi donc, « La santé insolente des sociétés du CAC 40 » (id°) ressemble à un conte de fée où seraient rassemblées bottes de 7 lieux et les peaux d’ânes nécessaires pour plonger dans le monde recréé du pays des merveilles. A titre d’exemple : Airbus perdait 1,23 milliards d’euros au premier trimestre et en regagnait 14,2, il a même, nous dit Le Monde, la possibilité de livrer plus d’avions que prévu. Les alertes se multiplient après la réunion des États responsables de la pollution et de la production de CO2 mais que leur importent les mots et les idées, les entreprises du CAC40, Dow Jones, et les autres ne considèrent que les faits : la manipulation des cours de l’Action est leur sacerdoce. LVMH, par exemple, ne s’est jamais aussi bien porté informe Le Monde du 6 août, AXA bénéfices en hausse de 180%, soit 4 milliards d’euros au premier semestre seulement. Ici ou là quelques pattes cassées comme EDF qu’il faudrait privatiser à tout prix, qui s’est éjecté du CAC40, a du mal à trouver sa vraie voie, la privatisation et l’éclatement de l’entreprise devrait résoudre tout ça. En attendant le bouc émissaire sera la recherche en énergies “propres“…qui elle n’avance pas ou cahote sur de mauvais chemins.

Ne nous affolons pas, chacun sur terre profite de la vie que lui a octroyée sa naissance ou son sens des affaires et son goût du pouvoir ; quoi qu’il en soit cela ne dure que le temps d’un souffle au regard des âges géologiques et de l’air que nous respirons. Encore que pour ce dernier le temps pourrait paraître compté, “l’effet de serre“ qui serait essentiellement dû à notre défaut congénital d’humains avides de progrès, pourrait bien bouleverser toutes les prévisions, surtout que jamais ne fut défini avec précision ce que “le Progrès“ pouvait vouloir dire. Dans ces conditions il convient de ne pas s’étonner, ni de s’indigner et encore moins de se révolter contre une tendance aussi naturelle qui pousse un actionnaire de grosses entreprises, où que ce soit dans le monde (des affaires) à augmenter ses gains de façon considérable bien que moralement discutable, or la morale n’a pas droit de cité en Bourse, tout est donc clair à leurs yeux : pas de quartier, profitons de la vie tant que profits et pouvoir sont notre possession, donc notre Droit.

Là où les vaccins eux-mêmes font partie des occasions profitables, Le Canard du 11 août avertit : « Le vaccin donne la fièvre aux bénéfices » les uns gagnent 130 fois plus que l’année dernière avec la vente de Pfizer, 5,31 milliards d’euros, d’autres comme Moderna qui rapporte 20 milliards d’euros à ses actionnaires. Ils anticipent sur les années à venir et entrevoient la possibilité d’un vaccin annuel en harmonie avec les vaccins déjà pratiqués de la « grippe ordinaire  ». “Gouverner“ c’est prévoir, la gouvernance exige le même talent, avec la même conviction de faire acte de bienveillance mais avec le souci constant et ravageur d’en extraire un maximum de profit. Dénouer le nœud Gordien de la morale et des remords inhérents à sa pratique revient à adopter le comportement du plus puissant d’entre les puissants : Bolloré, que l’on voit « courbé sur son prie-Dieu aux messes qu’il ne manque jamais  » confiant, avec un cynisme arrogant et néanmoins pertinent : « La religion catholique est formidable : je pèche, je me confesse, je recommence  » (LE Monde 27/7), cette casuistique a fait tache d’huile depuis au moins la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, depuis, l’accomplissement de la révolution dirigée par la bourgeoisie française à partir notamment, de 1793. Après le tournant de cette Constitution, dite de l’AN I qui n’entra jamais en vigueur, entre autres à cause d’un article 35, trop audacieux tout autant que naïf « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs », quelle plume aussi radicale, aussi candide avait pu envisager une telle éventualité, pourtant dans l’air depuis 1789 et la déclaration des droits de l’homme ? Mais ce qui fut candide autrefois semble ne plus l’être aujourd’hui : visionnaire plutôt.

C’est en tout cas ce qui semble infuser les foules bigarrées politiquement et pourtant toutes mues par un même rejet, un même refus de continuer comme avant sur la trace évanouie d’un faux démiurge, d’un Jupiter du théâtre d’ombres. Cela dit, il me faudrait trouver la bonne distance pour comprendre. 22.000 manifestants à Toulon, record national, ce n’est pas un fait divers, une manif de plus, c’est de l’ordre de la prémonition : pourquoi autant de monde dans la rue qu’aucun parti, aucun syndicat ne pourrait rassembler ? On observe souvent les mêmes phénomènes annonciateurs de mobilisations de grande ampleur, c’était le cas en 1968 précédé en 1967 d’évènements qui présentaient déjà un profil et une sorte de schéma prévisionnel : grèves et occupations accompagnées d’un soutien actif des paysans et commerçants de Rouen. 1936 pouvait exciper de son cousinage avec quelques manifestations communes PS/PCF dans quelques usines, à Paris et en province l’année précédente… 1789 et ses précédents des années 1782-84-88 colmatés jusqu’au point de rupture de 1789… Pourtant il apparaît que la manifestation toulonnaise était fréquentée par une population interlope de touristes habillés en touristes, suivant une trajectoire connue des syndicats, les conduisant vers la préfecture du Var. Ces informations m’ont été fournies par un observateur digne de foi, historien peu disposé à s’en laisser compter, qui remarquait « Quelques gilets jaunes, quelques figures de la mouvance LFI, PCF, NPA, etc » et une « middle class » envahissante, bien dans ses baskets, c’est moi qui, en le résumant, vulgarise le propos. Une semaine plus tard, le samedi 21 août, les manifestants sont beaucoup moins nombreux à Toulon, mais presque tout autant nationalement, des manifestations s’étant étendues aux villes plus petites. Il y a donc un foyer qui s’anime avec une exactitude horlogère, reprenant les habitudes pas très lointaines des Gilets jaunes. Entre elles deux le Covid mais cela ne semble pas affecter la combativité, au contraire même.

Machiavel est souvent cité pour défendre et même justifier le cynisme et l’égocentrisme des richissimes détenteurs du pouvoir. Il faudra bien nous expliquer, un de ces jours, pourquoi l’auteur du Prince est si dorloté par les penseurs et acteurs de la politique contemporaine : serait-ce qu’ils s’assimilent à ces Princes de la Renaissance auxquels s’adressait l’auteur ? Les conseils qui leurs sont prodigués à des fins d’efficacité se nourrissaient de réalités prégnantes dans une Italie faite de Principautés concurrentes et souvent agressives et de désordres internes produits de rivalités entre familles puissantes et gourmandes de pouvoir et de richesses, le peuple est ou soumis ou agressé avec la plus grande sauvagerie. Beaucoup de ressemblances avec nos puissants d’aujourd’hui mais à une échelle à ce point augmentée qu’elle oblige à en rabattre : Machiavel ne fait plus le poids en somme, il ne porte caution qu’à un niveau lecture superficielle, posé comme le voile léger d’une érudition qui semble leur concéder une légitimité d’apparat, une moralisation du cynisme d’État qui lui-même dissimule derrière un paravent de respectabilité, les forces plus ou moins obscures des Capitalistes à l’œuvre. Convenons qu’ils sont alors moins brillants que ces Princes de la Renaissance, fussent-ils des Arnault ou des Elon Musk… à moins que nous n’ayons qu’une connaissance elle-même superficielle de ces Princes.

Il nous restera donc à célébrer ces Princes des assureurs qui enregistrent de belles progressions du chiffre d’affaire et des bénéfices comme Axa au chiffre d’affaire augmenté de 7%, l’italien Generali plus 10% soit 2,99 milliards d’euros, Allianz et d’autres encore qui, selon Le Canard du 18 août, réalisent de substantiels bénéfices. On ne peut non plus ignorer les pays pétroliers et gaziers qui bénéficient d’une remontée spectaculaire des prix de l’essence à la pompe, pareil pour le gaz — «  le cours de référence augmente de 136% depuis le début de l’année  » (Le Canard) — et cela dit : qu’allons-nous faire ? Y-at-il une issue ?

Il s’en dessine la possibilité concrète avec quelque fois une liste impressionnante de propositions, une suite qui ressemble à un tamis avec lequel seraient triées les urgences les plus flagrantes. Solidaire en donne un exemple. « Propositions pour un plan de rupture » ainsi nommée c’est une approche dont on perçoit par anticipation une décision quasi révolutionnaire venant d’un syndicat qui a réussi à ameuter un collectif de plusieurs organisations : SOLIDAIRE associé à « huit organisations nationales, syndicales et associatives publiaient une tribune intitulée “Plus jamais ça“ » ce Marronnier planté au beau milieu d’un cri de guerre appelant à « la reconstruction d’un monde de justice sociale et environnementale  » faisant baisser d’un cran la curiosité du lecteur. Reconstruire ? De quoi s’agit-il, de quel monde qui aurait existé et qu’il s’agit d’exhumer de ses ruines : le capitalisme et les mondes avant lui, ici ou ailleurs, ne sont-ils jamais parvenus à cet idéal de justice ? Sociale, on appréhende abstraitement, environnementale, on ne voit plus très bien ce que cela veut dire.

« Parce que l’heure n’est plus à sortir de la crise mais à rompre franchement avec tout ce qui l’a nourri et la maintient vivace : le capitalisme effréné » avec quoi nous ne pouvons qu’être en accord total, mais — car il y en a un de taille — à quelques encablures dans le texte de présentation ce retournement à 180° « Ensuite, notre but est de faire la démonstration qu’il y a des alternatives au capitalisme néolibéral, productiviste et autoritaire, et que ces alternatives sont crédibles, désirables et réalisables, à condition que la volonté politique et les moyens financiers soient enfin mis au service de ces objectifs de transformation sociale et de préservation de l’environnement, au lieu de les soumettre aux pressions et désidératas des lobbies. » qui, comment cela devra-t-il arriver ? « Débattons partout, mobilisons-nous sur le terrain pour changer le système et exiger des transformations radicales. » il apparaît que ces bonnes personnes à la bonne volonté affichée, « exigent  »au nom de tous d’une mystérieuse transformation radicale du « Système » sans que l’on sache à qui s’adresseront les populations, porteuses d’une trentaine de revendications — certains en abusèrent en leur temps en en proposant 131, Président de gauche François Mitterrand et ses partenaires en 1981, quelques vieux papiers sur lesquels elles sont inscrites doivent se trouver de ci, de là… — ce qui est sûr : il est hautement improbable que le Système réforme le Système !

Personnellement j’adhère à la perspective d’une Assemblée Constituante souveraine, telle que défendue dans son éditorial du 18 août par La Tribune des travailleurs, et ajoute l’éditorialiste « Le premier pas dans cette direction serait que les confédérations ouvrières appellent au plan national à la mobilisation dans l’unité » On peut toujours essayer, en poussant très fort dans le dos les Directions syndicales… pour un premier pas ce serait déjà ça.

Robert